Avec « Cher Canard », Christophe Nobili vole dans les plumes de sa rédaction

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Dans l’espoir de préserver le secret autour de cet ouvrage consacré au Canard enchaîné, la maison d’édition avait baptisé le projet « Donald », du nom du célèbre palmipède un peu soupe au lait de Disney. Le titre définitif, Cher Canard (JC Lattès), ajoute une allusion pécuniaire, ainsi qu’un clin d’œil au Cher connard de Virginie Despentes, donnant une idée assez claire de l’esprit caustique avec lequel l’auteur, journaliste à l’hebdomadaire satirique, a pris la plume. Dans aucun des vingt-quatre chapitres ces deux aspects ne sont négligés. Il est bien ici question de gros sous autant que du peu d’estime de l’enquêteur pour ceux qui, au journal, se seraient rendus coupables d’une vilaine turpitude.

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Reprenons les faits depuis le début. Tout commence par une conversation à bâtons rompus devant la photocopieuse, fin 2015 ou début 2016, avec un ancien secrétaire général de la rédaction. Râlochant au sujet de l’extraordinaire longévité professionnelle du dessinateur plus qu’octogénaire André Escaro, l’auteur des cabochons de la page 2 – celle qui abrite « La Mare aux canards » –, Nobili s’entend répondre : « Mais ce n’est pas lui qu’on paie, mon coco, c’est elle. » Faussement désinvolte, la réplique inocule le poison du doute dans cet esprit fouineur. Et si c’était vrai ? Et si Le Canard enchaîné, qui a historiquement pour activité principale de brocarder les vilenies des puissants, avait salarié des années durant (de 1996 à 2020, découvrira-t-il) la compagne d’un collaborateur, puis ex-collaborateur, sans contrepartie d’un quelconque travail ?

Pendant l’élection présidentielle de 2017, les émotions fortes liées à la révélation des divers emplois fictifs dont a bénéficié Penelope Fillon, épouse de l’ancien premier ministre devenu candidat des Républicains François Fillon, détournent Nobili de ses interrogations. Autour de son fumet de soufflé aux escargots, le récit de sa rencontre, dans une mémorable brasserie orléanaise, avec l’informateur qui lui apportera la preuve que des salaires ont été indûment versés à cette passionnée de « poneys Shetland » a les accents rigolards d’un San-Antonio. Il donne à ressentir, aussi, l’euphorie du journaliste qui tient le scoop de sa vie… Après quoi le retour aux affaires courantes a des allures de gueule de bois.

Lanceur d’alerte

Entré au Canard comme le ravi de la crèche une douzaine d’années plus tôt, l’enquêteur s’attarde maintenant sur les lézardes de l’édifice, ses dorures fanées (les chefs hier adulés qui déçoivent, les scoops qui se raréfient) et son décorum suranné (les déjeuners hiérarchisés d’après-bouclage soudain démodés, les crispants adoubements à base d’actions distribuées de manière discrétionnaire, etc.). Tiraillé « entre [s]on ambition et [son] rejet, au fond, de tout ce cinoche, de ce folklore désuet, de ce paternalisme qui [lui] coûtait », Nobili reprend le train pour Orléans. Cette fois, le festin est amer. Sa source lui apporte la certitude qu’Edith Vandendaele, cogérante d’une entreprise de « culture de fruits à pépins et noyaux » dans la Drôme, était aussi salariée au Canard enchaîné.

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