dimanche, juin 30

Marie-Laure Brunel-Dupin est la première analyste comportementale de la gendarmerie.
Un métier qu’elle a façonné toute seule, et qu’elle raconte dans des polars inspirés de sa vie.
Elle a accepté de raconter ce parcours incroyable à Audrey Crespo-Mara dans le Portrait de la semaine diffusé ce dimanche 23 juin.

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Sept à huit

Mina Lacan, c’est en quelque sorte son nom de scène. Et un clin d’œil aussi au célèbre psychanalyste Jacques Lacan. Ce personnage, sous couvert de fiction, raconte la carrière de Marie-Laure Brunel-Dupin, lieutenante-colonelle de gendarmerie et pionnière en France de la crimino-psychologie. Comme Mina, Marie-Laure rêvait, adolescente, de « dégommer les méchants ». À 47 ans, c’est ce qu’elle s’emploie à faire à la tête de la Division des Affaires Non Élucidées (DiANE), une unité spécialisée qu’elle a créée en 2020 au sein du Pôle judiciaire de la gendarmerie nationale (PJGN).  

Comme Mina encore, Marie-Laure a su très jeune « ce qu’elle voulait devenir plus tard » grâce au « Silence des Agneaux », un thriller américain où Clarice Starling, jeune analyste du FBI, affronte Hannibal Lecter, un tueur en série psychopathe. Mais un doute subsistait. « Je me suis dit qu’on ne confierait jamais une tâche comme ça à un jeune agent sorti de l’Académie, donc ça a attiré mon attention. Puis, le déclic, je l’ai eu en découvrant que c’était réel et une vraie fonction d’agent du FBI », explique-t-elle à Audrey Crespo-Mara dans la vidéo en tête de cet article.

Patrice Alègre : « Difficile de le faire avouer »

Le problème, c’est que ce métier, qui consiste à plonger dans la tête d’un tueur en série, n’existait pas en France. Il a donc fallu créer cette profession de toutes pièces. Pour ce faire, Marie-Laure s’est forgée « un cursus à la carte » : sept ans d’étude, avec maîtrise de droit, certificat de sciences criminelles, diplôme universitaire de criminologie appliquée à l’expertise mentale. « J’ai fait des études qui ressemblaient le plus possible à l’image que j’avais d’un agent du FBI, spécialisé en sciences du comportement. Pour moi, un agent, c’était d’abord un enquêteur, donc j’ai fait des études de droit et des spécialisations en criminologie et en psychologie criminelle. Et ensuite, il fallait que j’invente un parcours professionnel », confie-t-elle. 

Le culot fera le reste puisque Marie-Laure écrit au patron de la Gendarmerie nationale pour se faire engager. « Je lui ai dit que j’étais prête à monter une équipe de spécialistes de l’analyse comportementale et que s’il a besoin de moi et qu’il ne le sait pas, je suis volontaire et disponible », raconte-t-elle. Aussitôt sa candidature retenue, la gendarmerie est confrontée à l’affaire Patrice Alègre, un tueur condamné à la perpétuité pour cinq meurtres et six viols dans la région de Toulouse. L’occasion pour Marie-Laure de mettre en pratique son énorme bagage théorique. « Avec lui, ce qui est difficile, c’est d’établir des séries, de savoir ce qu’il a fait d’autre, de l’approcher, de le faire avouer. Tout est compliqué. On est vraiment sur un tueur en série avec ses répétitions et ses tentatives d’échapper à la justice. Comme on résout mieux les crimes quand on les a compris, c’est tout l’enjeu de l’analyse comportementale », argumente la lieutenante-colonelle.

Jacques Rançon : « Il fallait garder son calme »

Mais comment entrer dans la tête d’un tueur ? « On n’est vraiment pas sur l’intuition ou le sentiment. On a des méthodes : on analyse la scène de crime dans ses éléments objectifs », répond-elle, précisant que « tout est un indice » et que « rien n’a d’importance tout seul ». « C’est vraiment un ensemble : le lieu, l’heure, le chemin pour y accéder, le chemin pour en partir, la prise de précaution, l’absence de précaution. Même l’absence d’un certain nombre de choses est déjà un indice », ajoute-t-elle. 

Pour mieux comprendre, elle prend l’exemple d’un mégot de cigarette : un enquêteur traditionnel va chercher une trace ADN pour identifier le meurtrier, mais Marie-Laure, elle, va trouver dans la présence de cet indice bien d’autres choses, parfois décisives. « En fait, on va s’intéresser au fait qu’il ait pris le temps de fumer une cigarette à ce moment-là. Et donc savoir s’il a écrasé nerveusement son mégot, s’il a fumé trois cigarettes. Cette prise de temps, elle commence à nous indiquer des éléments de personnalité (…) Ce sont des indices sur : voilà quel type d’individu vous cherchez, et comment vous êtes susceptibles de le trouver », détaille-t-elle. 

Une quête du détail très précieuse également lors de la garde à vue. Marie-Laure se souvient encore de celle de Jacques Rançon, condamné trois fois à la perpétuité pour trois meurtres de jeunes femmes, en 1986, 1997 et 1998, violées, poignardées et mutilées selon un épouvantable rituel. « À la 47ᵉ heure de garde à vue, il s’est mis à donner des éléments que seul l’auteur pouvait connaître », se rappelle-t-elle. Et de poursuivre : « Ce qui était important pour lui, c’était de ne pas lui crier dessus, jamais, même quand il était assez horripilant sur certaines réponses ou certaines attitudes. Il fallait garder son calme toujours et le traiter respectueusement. Sinon ça le fermait et une fois qu’il était fermé, il n’était plus possible à récupérer », assure-t-elle. 

Michel Fourniret : « S’il méprisait l’enquêteur, il ne donnait rien »

Autre tueur en série dans le viseur de Marie-Laure : Michel Fourniret, surnommé « l’ogre des Ardennes », condamné deux fois à la prison à perpétuité pour huit assassinats de jeunes femmes, et décédé en 2021 à l’âge de 79 ans. La profileuse admet qu’elle s’est préparée « pendant des mois » avant de le rencontrer, « en lisant tous les interrogatoires de ses précédentes affaires ». « En Belgique, il y avait la possibilité de retourner le voir tous les jours en prison pour lui poser des questions, donc c’était intéressant pour apprendre à le connaître, pour voir ses réactions et voir ce goût du challenge qu’il avait à avoir toujours des enquêteurs à sa hauteur, qu’il mérite. S’il méprisait l’enquêteur, il ne donnait rien », reconnait-elle. Quant à Monique Olivier, l’ex-femme de Fourniret, condamnée à perpétuité pour complicité dans plusieurs meurtres, « elle est très résistante, très fuyante et elle ne finit jamais ses phrases », décrit-elle.

Face aux actes odieux de tous ces criminels, Marie-Laure admet ressentir, comme Mina, son héroïne de fiction, des émotions qui parfois dévorent. « Ça m’a rendu un peu paranoïaque parce que j’ai cette impression qu’on est à l’abri nulle part et que ça peut arriver n’importe où, n’importe quand. Donc, j’ai cette hypervigilance », avoue-t-elle. Ce qui l’oblige, bien malgré elle, à couver ses deux ados un peu plus que la normale. « J’ai peur pour eux dans ce monde », conclut-elle. 


Virginie FAUROUX | Propos recueillis par Audrey Crespo-Mara

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