dimanche, juin 30

« Vous m’entendez? » Au bout du fil, on peine à entendre Sarah Durocher. La présidente du Planning familial se presse à Orléans pour prendre les transports en direction de Paris ce mercredi 26 juin. Son emploi du temps est chargé: son association, comme d’autres organes de la société civile, se mobilise contre une éventuelle arrivée de l’extrême droite au pouvoir, en plus de ses activités habituelles.

Elle participe notamment aux manifestations qui ont lieu dans l’Hexagone depuis qu’Emmanuel Macron a dissous l’Assemblée nationale le 9 juin, au soir des élections européennes, largement remportées par le Rassemblement national. Lequel repart dans la position de favori pour les législatives anticipées des dimanches 30 juin et 7 juillet. Avec la perspective, donc, d’imposer une cohabitation au président de la République et d’installer Jordan Bardella à Matignon.

« On est menacé »

Sarah Durocher ne cache pas ses inquiétudes, craignant des restrictions sur « le droit à l’avortement, la contraception ou l’éducation à la sexualité ». « On est menacé par des parlementaires du RN depuis un an et demi. Ils demandent d’enlever les financements du Planning de manière régulière, que ce soit par des questions écrites ou orales », affirme-t-elle.

Un climat anxiogène, par ailleurs caractérisé par des « attaques de dégradations », qui ont visé des locaux de l’association « à plusieurs reprises » et sont « revendiquées par des mouvements d’extrême droite ».

Ces préoccupations sont partagées par Violaine de Filippis, co-fondatrice du collectif Action Juridique Féministe. Si l’extrême droite arrivait aux manettes, ce serait « une très mauvaise nouvelle pour les femmes », estime cette avocate. Elle considère la « vision » du RN « très essentialisante avec un rôle traditionnel de la femme qui doit faire beaucoup d’enfants et être une bonne mère ».

Bardella dénonce des « caricatures »

Le programme de Jordan Bardella entend ainsi « favoriser la natalité, qui seule permettra la continuité de la Nation et de notre civilisation ». Et Violaine de Filippis. et de citer en exemple la proposition d’un prêt de l’État à taux zéro de 100.000 euros, remboursé à partir du 3e enfant pour l’accès à la propriété.

Sur ce point, Jordan Bardella s’en est récemment pris aux « caricatures » et « mensonges » diffusés selon lui par « l’extrême gauche », assurant dans une vidéo qu’il serait « le Premier ministre qui garantira(it) de manière indéfectible à chaque fille et femme de France ses droits ». « Parce qu’aucune femme ne doit craindre qu’un jour un seul de ses droits ne soit remis en cause, Marine Le Pen a soutenu l’inscription de l’IVG dans la Constitution », insiste-t-il. Ce qui n’est pas le cas de tous les élus RN: si 46 ont approuvé lors du Congrès à Versailles, 11 ont voté contre et 20 se sont abstenus.

Comme Sarah Durocher, Violaine de Filippis mentionne elle aussi ses inquiétudes quant à d’éventuelles « coupes de subventions » dépendantes de l’État, qui auraient des conséquences pour « les femmes victimes de violences », aidées par les associations.

« Détestation de l’étranger »

Dominique Sopo, président de SOS Racisme, s’attend également à devoir éventuellement « réduire la voilure » et « aller chercher de l’argent ailleurs ». Il dénonce « l’un des élements centraux » historiquement du programme du RN: la préférence nationale, qui consiste à réserver des allocations et certains droits aux Français.

Le RN, qui parle lui de « priorité nationale », l’a intégrée à son programme pour les législatives. Et appelle par exemple à « réserver les allocations familiales aux Français et conditionner à 5 années de travail en France » l’accès à certaines prestations comme le RSA. Sans vraiment pouvoir la mettre en place dans l’immédiat. « Nous aurons besoin de la présidence de la République française, parce qu’il faudra engager une révision constitutionnelle et elle se fera par référendum », a reconnu Jordan Bardella sur France 2 mardi 18 mai.

La préférence nationale aurait des conséquences « non seulement pour les étrangers, mais aussi pour les bi-nationaux », relève Dominique Sopo, alors que le RN a fait polémique cette semaine en annonçant vouloir leur interdire d’accéder à certaines fonctions « sensibles » – une « cinquantaine » de postes seraient concernés, selon le vice-président du RN Sébastien Chenu.

Cela « montre qu’on est pas tant sur une préférence nationale que sur une détestation de l’étranger », dénonce le président de SOS Racisme.

Et de mettre en garde sur un climat qui pourrait s’instiller en cas d’arrivée au pouvoir de l’extrême droite: « On aurait des institutions qui ne seraient non plus dans des protections contre les logiques de haines mais des points d’appui qui viendraient renforcer la structuration du débat autour des boucs émissaires: d’une certaine façon ce serait l’ère Bolloré (notamment propriétaire de la chaîne d’informations CNews, concurrente de BFMTV, NDLR) en Conseil des ministres. »

Inquiétude pour le « droit des travailleurs »

Les associations ne sont pas les seules à mener la bataille pour empêcher que ce scénario ne se réalise. Les syndicats sont également sur le front. CFDT, CGT, Unsa-FSU, Solidaire ont lancé un appel commun, dès le 11 juin, pour manifester contre l’extrême droite.

Du côté de la CFDT, on juge que « les droits de certains travailleurs pourraient être menacés », tout comme « la liberté syndicale ». Le syndicat donne pour exemple un amendement déposé par le RN en 2022 pour limiter l’accès aux élections professionnelles aux salariés « maîtrisant couramment le français ».

« Ça pour nous, c’est une méconnaissance totale de ce qu’est un collectif de travail, on ne regarde pas la carte d’identité des collègues avec qui on bosse », nous explique la centrale.

Au-delà de ce combat commun à travers la société civile, reste une question en suspens pour ces différentes organisations: comment agiraient-elles si l’extrême droite parvenait au pouvoir? Les uns et les autres bottent en touche, préférant se concentrer sur la mobilisation actuelle.

Dominique Sopo résume: « Quand on appartient à la société civile, on montre ses désaccords vis à vis des différents pouvoirs, donc, évidemment, on le ferait encore plus si l’extrême droite arrivait au pouvoir. Mais pour l’instant la question c’est: comment on évite ce scénario catastrophique? »

Article original publié sur BFMTV.com

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