vendredi, juillet 5

Depuis le début de la campagne, beaucoup mettent en garde contre l’accès au pouvoir des « extrêmes », renvoyant dos à dos le Rassemblement national et La France insoumise.
Mais d’après les définitions usitées de l' »extrême droite » et de l' »extrême gauche », peut-on y classer ces deux partis ?

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Élections législatives 2024

Les « extrêmes ». Dans cette campagne pour les législatives, le camp présidentiel a souvent renvoyé dos à dos les « extrêmes », semblant mettre dans le même sac le Rassemblement national à l’extrême droite, et la France insoumise à l’extrême gauche. Aujourd’hui encore, c’est l’argument avancé par certains membres de l’exécutif, comme le ministre de l’Économie Bruno Le Maire, pour justifier la consigne de vote « ni RN ni LFI » avant le second tour des législatives dimanche prochain. 

À l’extrême droite, Jordan Bardella en tête, on use aussi du qualificatif d’extrême gauche pour qualifier l’alliance du Nouveau Front populaire. Pourtant, il n’est pas correct d’utiliser le terme « extrême » pour les deux opposés de l’échiquier politique.

Les résultats des élections législatives dans votre circonscription et votre ville

En tout cas, si le RN est désigné comme étant d’extrême droite par le ministère de l’Intérieur, en charge de l’organisation des élections, il ne classe pas LFI à l’extrême gauche, mais à gauche. Une classification réaffirmée en mars par le Conseil d’État, saisi par le parti de Marine Le Pen qui contestait son rattachement à « l’extrême droite » aux élections sénatoriales de septembre, opéré par le ministère de l’Intérieur. Le parti présidé par Jordan Bardella – qui réfute depuis longtemps cette assimilation à l’extrême droite – avait estimé que la circulaire du ministère de l’Intérieur qui classait les candidats de son parti dans le bloc « extrême droite » portait atteinte à la « sincérité du scrutin ». Selon le parti à la flamme, le texte méconnaissait par ailleurs le principe d’égalité « en ce qu’il opère une différence de traitement injustifiée » avec le PCF et LFI, classés dans le bloc « gauche » – Lutte ouvrière ou le NPA étant pour leur part classés « extrême gauche ».

Si les candidats peuvent choisir librement leur nuance, en l’occurrence « Rassemblement national » pour le RN, l’attribution des blocs (« extrême gauche », « gauche », « autres », « centre », « droite » ou « extrême droite ») relève des préfectures, à des fins d’« analyse électorale » et de « lisibilité des résultats des élections pour les citoyens », rappelait le ministère dans sa circulaire.

Le Conseil d’État classe le RN à l’extrême droite et LFI à gauche

« En rattachant la nuance politique ‘Rassemblement national’ au bloc de clivages extrême droite’, la circulaire attaquée ne méconnaît pas le principe de sincérité du scrutin, que l’attribution d’une nuance politique différente de l’étiquette politique n’affecte pas, et n’est entachée d’aucune erreur manifeste d’appréciation », avaient considéré les juges administratifs dans leur décision. « Elle ne méconnaît pas davantage, en tout état de cause, le principe d’égalité en procédant à un tel rattachement, tout en attribuant la nuance ‘Gauche’ aux formations politiques ‘Parti communiste français’ et ‘La France insoumise' », a encore fait valoir le Conseil d’État.

Mais cette classification électorale n’est pas suffisante pour expliquer ce que recouvre l’extrême droite ou l’extrême gauche et qui y placer. Pour cela, il faut se tourner du côté de l’histoire et des historiens, des politologues ou encore des journalistes. Et là, l’affaire est plus compliquée, plus subjective, les conclusions pas forcément unanimes. 

Préférence nationale et antiparlementarisme, des idéologies d’extrême droite

Selon le Larousse, peut être regroupé sous l’appellation extrême droite « l’ensemble des mouvements qui se rattachent à l’idéologie contre-révolutionnaire et qui récusent aussi bien le libéralisme que le marxisme. Considérant comme légitime l’emploi de la violence, ils réclament un régime fort. L’antiparlementarisme et l’anticommunisme sont les deux thèmes essentiels de l’extrême droite ». Dans une vidéo du Monde, le spécialiste de l’extrême droite Andrea Pirro estime qu’ils ont pour fondements idéologiques le « nativisme » et « l’autoritarisme », soit l’exclusion de ceux « n’appartenant pas au groupe d’origine » et la sanction à toute infraction aux normes et valeurs définies dans la société.

Aujourd’hui, le RN prône toujours la préférence nationale et veut privilégier l’accès au logement ou à certains emplois à certaines catégories de la population, notamment ceux ne bénéficiant pas d’une double nationalité. Des propositions qui pourraient être assimilées à une rupture du caractère universel de certaines valeurs républicaines comme l’égalité et la liberté. 

Révolution, anticapitalisme et prise de pouvoir illégale pour l’extrême gauche

Quid de l’extrême gauche ? Il s’agit, selon le Larousse, de l’« ensemble des mouvements situés à gauche des partis communiste et socialiste, récusant la démocratie parlementaire libérale et prônant la révolution totale ». « L’extrême gauche, c’est d’abord des mouvements d’idées, des organisations, des partis, qui contestent la démocratie bourgeoise et la société capitaliste en considérant que l’action directe, révolutionnaire, l’emporte sur l’action électorale. Or, LFI s’est construite dans le jeu présidentiel puis législatif en 2022, et a conclu à deux reprises, en 2022 puis aujourd’hui en 2024, des accords de gouvernement avec les socialistes, les écologistes et les communistes. Ce qui est mis en avant est davantage une révolution institutionnelle que sociale », estime Frédéric Sawicki, professeur de sciences politiques à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne auprès du Nouvel Obs. 

Selon le politologue Rémi Lefebvre, les partis d’extrême gauche « jouent le jeu électoral mais contestent la voie légale de la conquête du pouvoir et estiment que celle-ci doit se faire par la grève générale, les mouvements sociaux, et pas par l’élection ».

LFI entretient le flou

Des définitions qui ne font pas rentrer LFI dans la catégorie « extrême gauche ». Mais en avril 2023, alors que Manuel Bompard répétait : « l’extrême gauche ça existe en France » mais « le programme politique que l’on porte n’est pas un programme politique d’extrême gauche », TF1info avait interrogé l’historien Philippe Buton, qui nous avait expliqué que le parti de Jean-Luc Mélenchon entretenait la confusion. « La France insoumise n’apparaît pas toujours respectueuse de la légalité », expliquait-il, prenant pour exemples son comportement à l’Assemblée nationale et sa « complaisance vis-à-vis des violences », notamment contre les forces de l’ordre. Aussi, « quand on réclame une VIe Constitution et qu’on n’est pas très clair sur le rôle de la rue dans la transformation politique, on entretient cette ambiguïté », ajoutait l’universitaire. Selon lui, LFI entretient constamment ce « en même temps » pourtant cher à son principal opposant, « celle de la symbolique révolutionnaire, de la culture communiste ou gauchiste, mais dans une acceptation républicaine ». C’est celle-ci qui peut pousser des observateurs à classer LFI du côté de l’extrême gauche.

L’auteur d’Histoire du gauchisme : l’héritage de mai 68 (Perrin) concluait en disant que Manuel Bompard « a raison de ne pas classer LFI à l’extrême gauche sur le plan formel ». « Mais sur celui de la réalité dans le fonctionnement de la vie politique française, il a tort. »


Justine FAURE

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