Pourquoi les syndicats n’ont-ils pas obtenu gain de cause lors de la réforme des retraites ? Est-ce un échec ? L’autocensure, qui prévaut aujourd’hui dans bien des secteurs, semble interdire une telle question. D’autant plus que l’exécutif a remporté une victoire à la Pyrrhus puisque, pour imposer son projet, il a dû recourir à tout l’arsenal du parlementarisme dit rationalisé que lui offre la Constitution. Mais qu’est-ce qui a fait défaut aux syndicats pour obtenir le retrait de la réforme ?
La stratégie de la rue, apparue comme une évidence, mérite d’être interrogée. Celle-ci n’a-t-elle pas conduit à penser que le recours à la grève pour des raisons sans doute plus culturelles qu’économiques est devenu aujourd’hui quasi impossible. Pourtant, c’est bien sur la grève que les mouvements du passé ont pris appui tandis que la stratégie de la rue a déjà été tenue en échec contre la précédente réforme des retraites, sous Sarkozy, en 2010, contre la loi El Khomri en 2016, contre les ordonnances Macron en 2017, contre la retraite à points en 2019-2020.
La stratégie de la rue, malgré des cortèges nombreux, sa récurrence, son caractère pacifique, n’a pas produit les effets escomptés. Avait-elle les défauts de ses qualités ? De fait, les « gilets jaunes », pourtant moins nombreux, mais plus inattendus, plus innovants dans leurs formes de protestation, plus visibles, plus réguliers et déterminés, ont obtenu des résultats. Si eux n’avaient pas promis de mettre la France à l’arrêt – et n’étaient pas obligés, dès lors, de tenir un tel engagement –, ils n’en étaient pas moins devenus obsédants pour le pouvoir.
Le privé largement absent
Le contexte peut expliquer aussi l’échec. Les syndicats ont surtout mobilisé leurs publics habituels : les fonctionnaires, les salariés d’entreprises mixtes, des retraités… Le secteur privé est resté très largement absent, même si les enquêtes d’opinion ont montré l’impopularité de la réforme. Autrement dit, par fatalisme, indifférence, compréhension voire consentement à la réforme, par éloignement volontaire ou pas de l’action collective, des pans entiers du salariat, des actifs, de la société sont restés spectateurs du mouvement.
La réussite ou l’échec d’un mouvement social doit aussi beaucoup à l’attitude de l’adversaire, ici le gouvernement. Fort des leçons passées, celui-ci s’est armé de patience. Il a regardé passer les contestataires comme un monôme qui défile. Il a laissé faire des excès de la police, escomptant qu’un maintien de l’ordre à l’inverse de celui pratiqué dans les démocraties contemporaines exciterait les manifestants et décrédibiliserait le mouvement. Surtout, il s’est montré intraitable, certain du bien-fondé de son projet, au contraire des gouvernements Juppé (1995), ou Villepin (2006), plus ou moins désunis, qui avaient fini par céder à la rue.
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