Pierre Boyer fait partie des trois jeunes économistes, hors les deux lauréats, qui ont été retenus par le jury associant les représentants du Cercle des économistes et du Monde pour leurs travaux relevant de l’économie appliquée et permettant de promouvoir le débat public.
Comment vous est venu le goût de l’économie ?
J’ai grandi dans les années 1990, l’époque du chômage de masse et des débats sur la monnaie unique et l’inflation. Je voulais comprendre le monde qui m’entourait. Mes thèmes de recherche m’ont conduit vers l’économie politique puis les réformes fiscales, toujours autour de l’intervention de l’Etat et de la question de l’acceptabilité des réformes. On reproche souvent à l’économie de faire des prescriptions qui ne tiennent pas compte des contraintes politiques, l’exemple type étant celui de la taxe carbone, prisée des économistes, mais difficile à mettre en place. Je cherche à comprendre quelles politiques économiques sont faisables et dans quelles conditions.
Vous avez notamment travaillé sur la question du consentement à l’impôt, qui préoccupe actuellement l’exécutif…
Oui, j’ai participé en 2022 à l’élaboration d’un baromètre sur la perception de l’impôt, en tant que membre du Conseil des prélèvements obligatoires, une instance indépendante rattachée à la Cour des comptes. Nous cherchions à comprendre quels étaient les déterminants de l’acceptabilité politique de l’impôt et du civisme fiscal. Les deux ne sont pas nécessairement liés : vous pouvez payer vos impôts tout en trouvant le système injuste. Il s’avère que ce qui explique le mieux le consentement à l’impôt, c’est la perception de la gestion de l’argent public, le sentiment que celui-ci est bien utilisé et non gaspillé. Ce n’est pas la justice fiscale, contrairement à ce qu’on pourrait croire.
Si vous défendez une réforme en vous appuyant sur l’argument de justice fiscale, vous n’embarquez qu’une partie de la population, tandis que celui de l’utilisation de l’argent public est consensuel. Nous aurons des données plus fines cet automne, en travaillant avec l’administration fiscale et l’Insee, qui nous permettront de mettre en regard les résultats du sondage avec les données fiscales (anonymisées) des personnes sondées. Cela nous renseignera sur l’écart entre la perception que les gens ont des impôts qu’ils paient et la réalité.
Vous vous êtes aussi penché sur la popularité des grandes réformes fiscales menées en Europe et aux Etats-Unis au début des années 1980 et 1990…
Oui, j’ai voulu comprendre comment ces réformes, qui ont finalement favorisé le haut de l’échelle des revenus avec d’importantes baisses d’impôts, avaient pu être acceptées politiquement. Ce que mes travaux montrent, c’est que ces réformes ont pu se faire parce qu’elles bénéficiaient aussi aux ménages du milieu de l’échelle de revenus. Baisser l’impôt uniquement sur les hauts revenus, cela ne fonctionne pas politiquement. En revanche, on peut baisser les impôts sur les plus riches et, dès lors que les mesures ne leur sont pas réservées à ces derniers, avoir le soutien de la moitié de la population.
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