Animée par l’obsession de l’expérience hors du commun, l’humanité envisage généralement la période estivale sur un mode épiphanique. Mais, quand Etretat ou le Machu Picchu commencent à ressembler à l’enfer sur terre et que la beauté du monde suffoque sous le pas cadencé des claquettes, il est temps de cultiver l’ambition inverse : celle d’un sous-tourisme où l’on ne croiserait personne et où tous les lieux traversés seraient d’une affligeante banalité. Distributeurs de crème solaire au milieu de nulle part, machines à cocktails, robot d’accueil : l’aréopage émergeant de dispositifs qui permettent d’automatiser en partie l’expérience touristique constitue le ferment de cet exotisme paradoxal et « hyposocial ».
Par un beau jour de canicule, nous décidâmes, mon fils aîné et moi, de partir explorer ce pays qui n’est sur aucune carte et potentiellement partout à la fois. Le péage d’autoroute en constitue incontestablement la matrice depuis que la personne dans la cahute a été gommée de la carte postale. A l’heure approximative du déjeuner, alors que le GPS de notre Renault Kadjar – abreuvée dans une station sans pompiste – ne cesse de s’excuser sans raison (« Désolé ! »), comme s’il était doué de conscience, notre premier arrêt sera pour un distributeur d’huîtres, installé en bord de départementale à Canapville, dans le Calvados. Je l’avais déjà repéré il y a quelques mois, en passant devant par hasard.
Huîtres, rillettes : la gastronomie en distributeur
Le distributeur d’huîtres règle à sa manière la question du manque chronique de personnel dans l’hôtellerie et le tourisme – 75 000 emplois non pourvus en 2022. Certes, il n’a pas la gouaille d’un Joël Dupuch, l’ostréiculteur archétypal du film Les Petits Mouchoirs, mais, sur la route des vacances, il est dispo 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, affichant une prodigalité sans limite qui semble vouloir faire concurrence à la manne biblique. Une araignée a élu domicile dans un coin de l’appareil qui propose des bourriches de tailles variables, renfermant « La spéciale de Normandie », une huître de la côte de Nacre.
« En direct de nos parcs-Fraîcheur garantie » harangue silencieusement la machine, que constellent des messages en tous genres sur fond d’images de vagues océaniques. Les automates sont, à leur manière, incroyablement bavards. Après avoir payé 24 euros grâce à la borne sans contact, émergent de cette machine sémiotique un citron, un petit pot d’échalotes au vinaigre, des rillettes de grondin au massala et une bourriche de douze huîtres no 3. « Ce n’est pas là qu’on en aura treize à la douzaine ! », me dis-je. Nous achetons le pain, croustillant et chaud, dans la machine stratégiquement installée à côté.
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