Cinquante ans que ça dure ! Un demi-siècle que septembre, pour l’amateur de vins, ne rime plus seulement avec vendanges, mais aussi − voire surtout − avec foire aux vins. C’est le mois privilégié pour remplir les chariots de bouteilles tintinnabulantes et reconstituer sa cave à coups de grosses promotions. Toutes les enseignes de supermarchés, hypermarchés, magasins de proximité, les cavistes aussi, les sites Internet encore, s’y plient religieusement.
En 1973, il ne s’agissait que de deux magasins E.Leclerc, en Bretagne, menant presque spontanément une opération de déstockage sur leurs parkings – d’ailleurs, l’expression « foire aux vins » ne germera que deux ans plus tard. D’autres chiffres permettent de mesurer l’évolution du phénomène : en 1973, sur le parking du E.Leclerc de Vannes, 80 000 bouteilles ont été vendues, pour un chiffre d’affaires de 240 000 francs ; l’an dernier, la foire aux vins de tous les E.Leclerc de l’Hexagone leur a permis d’écouler plus de 9 millions de bouteilles, pour un chiffre d’affaires de 105 millions d’euros. Si l’on élargit à toutes les enseignes de la grande distribution en France, les foires aux vins totalisaient en 2022, selon une étude de l’institut d’analyse NielsenIQ, le milliard d’euros.
Attaque de mildiou
Un succès ? Le mot est faible. Car il faut le mettre en regard d’un phénomène concomitant : l’impressionnant déclin de la production et de la consommation de vin. En 1973, la France a produit 82,5 millions d’hectolitres. En 2022, selon l’Organisation internationale de la vigne et du vin, c’étaient 45,6 millions d’hectolitres, quasiment moitié moins. Quant à la consommation, elle est passée de 120 litres par Français en 1973 à 44 litres aujourd’hui – presque trois fois moins. Alors, certes, le chiffre d’affaires des foires aux vins stagne depuis plusieurs années, mais ces dernières ne connaissent pas la crise.
La crise, en revanche, frappe de plein fouet le Bordelais des bouteilles à prix modestes, en particulier la région peu cotée de l’Entre-deux-Mers (Gironde). Alors que le vignoble de bordeaux reste le plus gros pourvoyeur de vins dans les foires de septembre, il se prépare à arracher 9 500 hectares de vignes avant la fin de l’année. Les raisons sont multiples : chute des exportations, consommateurs privilégiant les vins légers, blancs ou rosés, coûts de production trop élevés face à la concurrence étrangère, marketing en manque d’innovation…
Nous donnons dans ce numéro la parole à trois vignerons bordelais qui, ayant trop de jus invendus, ont pris la décision d’arracher une partie de leurs ceps. Pour ne pas arranger les choses, le millésime 2023 sera cruel dans la région, avec une attaque de mildiou qui a touché 90 % des parcelles, selon la chambre d’agriculture de Nouvelle-Aquitaine. Du jamais-vu. A l’aube des vendanges, on ne connaît pas encore l’étendue des pertes, mais il est déjà certain que le bordeaux 2023 coulera en quantités faibles. Raison de plus pour convoiter en foire aux vins les millésimes 2022 et 2021, abondants et réussis.