C’est l’autre « bataille de l’eau ». Pas celle que le gouvernement a lancée pour essayer d’atténuer la sécheresse qui se profile à l’été 2023 ; celle, plus profonde et moins médiatique, qui acte une révolution rurale. Maîtres de l’eau communale depuis presque deux siècles, les maires devront tous avoir cédé cette compétence à leur communauté de communes avant 2026.
Plusieurs lois, entre 2015 et 2019, en ont posé puis précisé le principe, mais l’opération entre dans une phase décisive à moins de trois ans de l’échéance. L’eau est un symbole très fort de la vie rurale. Souvent, il y a d’ailleurs une source sur la commune, c’est le maire qui fixe le prix du mètre cube et c’est lui qu’on appelle lorsque le robinet est à sec. Mais voilà, le pays compte 35 000 communes (40 % de toutes celles de l’Union européenne) et cela fait trente ans que l’Etat pousse au regroupement pour rationaliser l’éparpillement des bourgs.
« Le transfert de l’eau, c’est la mort de ma commune », juge Eric Masoyé, maire sans étiquette de Vy-lès-Rupt (Haute-Saône), 97 habitants. « On est en train de tout transférer aux “comcom” [pour communautés de communes], s’agace-t-il, installé dans son petit bureau avec vue imprenable sur l’église. Il me reste l’eau, les forêts et les emmerdes. On vide la substance de nos communes. A terme, elles vont mourir. On va devenir des villes fantômes le jour, et dortoirs la nuit. »
Son village est propriétaire depuis 1841 de la source, située à 3,7 kilomètres au milieu des bois. M. Masoyé est toujours là quand il faut chercher une fuite, inspecter les pompes ou vérifier le traitement de l’eau. Mais 2023 sera un tournant. Pour préparer le transfert, la communauté de communes va faire le relevé du réseau de Vy-lès-Rupt. « On s’y opposera. Il y aura un comité d’accueil pour les techniciens », prévient le maire.
« On nous étrangle financièrement »
Dans ce département très rural – « Vesoul, c’est juste le plus grand village », note le sénateur Les Républicains Alain Joyandet –, de nombreux élus vivent les mêmes affres. Sur les 18 communautés de communes du département, seules 5 gèrent l’eau. C’est très peu. Au niveau du pays, c’est la moitié. C’est dire les réticences, voire les regrets. Jean-Philippe Gimenez, maire de Faymont (Haute-Saône), 264 habitants, a déjà perdu la « compétence eau » et considère s’être « fait avoir ». Il ne lui reste plus que l’entretien des rues du bourg et la forêt. L’élu pourrait faire sienne cette lamentation entendue à l’autre bout du département : « Si on n’est là que pour le cimetière et la divagation des chiens, ça sert à quoi d’être maire ? »
Il vous reste 78.74% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.