Le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, a suscité fin août l’ire du patronat en envisageant d’étaler la baisse des impôts « de production » déjà promise. La publication des comptes nationaux pour 2022, le 31 août, permet d’expliquer en partie cette décision : les entreprises ont désormais surmonté le choc dû au Covid-19 et retrouvé leur dynamisme. Surtout, elles bénéficient – comme l’Etat – de l’inflation. Endettées en moyenne pour de longues durées et à taux fixes (et bas), les sociétés non financières voient leur dette réelle se réduire grâce à une inflation « surprise », qui fait croître leurs revenus nominaux, et non leurs remboursements. Celle-ci est passée de plus de 81 % du PIB début 2022 à 79,4 % mi-2023, alors même qu’elles ont contracté de nouveaux emprunts, soit un gain d’environ 3 % de valeur ajoutée pour les entreprises. Malgré la hausse des taux d’intérêt, même les nouveaux emprunts bénéficient encore de taux réels proches de zéro, voire négatifs (même si leur taux réel effectif dépendra de l’inflation des prochaines années).
Comme tout épisode inflationniste, celui que nous vivons fait donc des gagnants et des perdants, et les entreprises font (en moyenne) partie du camp des gagnants. Ce n’est pas la première fois, même si on l’a un peu oublié avec la disparition de l’inflation depuis les années 1980.
Lors d’autres périodes d’inflation plus importantes, l’augmentation du niveau général des prix a eu un effet positif, et imprévu, sur l’investissement et la croissance. Dans les années 1920, alors que tout le monde se lamentait sur la chute du franc, les entreprises en tiraient grand bénéfice en accroissant fortement leurs exportations et en investissant massivement. Néanmoins, certaines privilégièrent la distribution de dividendes aux actionnaires, au détriment du renforcement de leurs fonds propres et de leur productivité, et se retrouvèrent fragilisées au début de la crise des années 1930.
Tirant les leçons de ces erreurs, un modèle différent fut choisi dans les années 1950. De nouveau, la réduction de l’endettement par l’inflation joua un rôle important dans la capacité d’investissement : non seulement celle de l’Etat – et du vaste secteur d’infrastructures nouvellement nationalisé (chemins de fer, énergie), très endetté –, mais aussi celle du secteur privé. Le choix politique collectif fut de privilégier l’investissement par rapport aux dividendes, de sorte que la croissance permit d’accroître les salaires sans entamer les profits. La demande intérieure pouvait alors se substituer aux exportations comme principal moteur de croissance.
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