L’ingénieur-entrepreneur Gordon Moore, fondateur de Fairchild Semiconductor en 1957 puis d’Intel dix ans plus tard, serait ravi que ses « chips » aient pris une telle importance, lui qui voulait déjà faire des Etats-Unis, en pleine guerre froide, le leader du secteur naissant des puces électroniques. Elles sont devenues un « enjeu de sécurité nationale » pour Joe Biden face à une Chine qui tente de rattraper son retard dans la conception et la fabrication des microprocesseurs de dernière génération.
Acte I : le président américain a promulgué, en août 2022, le « Chips and science act », une loi prévoyant 53 milliards de dollars (50 milliards d’euros) d’aides pour réduire la dépendance aux fournisseurs taïwanais et coréens de puces, souvent « made in China », nécessaires aux smartphones d’Apple comme aux avions F-35 de Lockheed Martin. Acte II : la ministre du commerce, Gina Raimondo, a précisé, mardi 28 février, date d’entrée en vigueur de la loi, à quelles conditions sera octroyé l’argent des contribuables américains, en rappelant son objectif : « Que les Etats-Unis soient le seul pays où se trouve chaque entreprise capable de produire des puces de pointe et à grande échelle. »
Ce sera donnant-donnant, a-t-elle prévenu, dessinant ce que doit être la réindustrialisation de l’Amérique aux yeux de l’administration. D’abord un moyen d’éviter que la Chine ne gagne la bataille technologique. Les bénéficiaires de subventions devront s’engager pendant dix ans à ne pas faire de nouveaux investissements de haute technologie dans des « pays suscitant des inquiétudes », d’y mener des recherches ou d’y accorder des licences. L’empire du Milieu n’est pas cité, mais c’est lui qui est visé, avec la Russie, la Corée du Nord et l’Iran. Le Pentagone aura un accès privilégié aux puces les plus sophistiquées.
Tempérer les excès
« Si les entreprises ne répondent pas à nos attentes en matière de sécurité nationale, nous ne soutiendrons pas leurs projets, a insisté Mme Raimondo. Elles devront respecter les règles de contrôle des exportations. » Ce ne sera pas une première. Washington a déjà imposé au néerlandais ASML, seul fabricant mondial de machines à graver des puces de quelques nanomètres par laser ultraviolet, de ne pas vendre ses productions dernier cri à la Chine ; et au taïwanais TSMC de ne plus fournir le géant chinois des télécoms Huawei.
Les exigences de M. Biden ne s’arrêtent pas là. La réindustrialisation du pays doit permettre, selon lui, de tempérer les excès du capitalisme. Les sociétés touchant ces aides reverseront à l’Etat une partie des profits quand ils sont plus élevés que prévu, les rachats d’actions pour doper leur titre et le versement de dividendes pourront être limités. Pour attirer une main-d’œuvre qui fait cruellement défaut dans ce secteur comme dans d’autres, les salariés bénéficieront d’une formation continue et de garderies abordables pour leurs enfants.
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