Pousser les enfants à se poser les bonnes questions, tout en cassant les préjugés sur la pauvreté. La Prix Nobel d’économie 2019 Esther Duflo publie, avec l’illustratrice Cheyenne Olivier, une série de dix albums pour enfants, tirés des thèmes abordés dans son ouvrage Repenser la pauvreté (coécrit avec Abhijit V. Banerjee, Seuil, 2014). Parus vendredi 1er septembre au Seuil, les cinq derniers tomes accordent une large place aux conséquences du désordre climatique pour les plus pauvres.
Pourquoi écrire pour les enfants ?
Esther Duflo : Les livres sont essentiels pour la construction des plus jeunes et les valeurs que nous leur transmettons. Petite, ceux que j’ai lus m’ont poussée à me poser beaucoup de questions sur le monde et ma responsabilité. Hélas, les ouvrages jeunesse sur le sujet diffusent énormément de stéréotypes.
Cheyenne Olivier : Les travaux pour ma thèse, qui porte sur l’illustration de la pauvreté dans les albums pour enfants, montrent en effet que l’on y retrouve souvent deux écueils : le misérabilisme ou l’héroïsme. Nous nous sommes efforcées de ne pas y tomber.
Comment trouver le juste ton pour s’adresser aux plus jeunes, sans les plonger dans l’écoanxiété ?
E. D. : Nous évitons de leur dire qu’ils sont les super-héros qui sauront résoudre les problèmes du climat, alors que nous, adultes, sommes incapables de modifier un peu nos comportements. Dans l’album Thumpa, la fillette qui veut sauver les arbres enclenche une chaîne d’actions sans laquelle rien ne serait possible – les autres enfants et les adultes s’engagent comme elle, puis la télévision vient au village, puis la communauté internationale intervient grâce à des crédits carbone permettant de préserver la forêt –, mais elle n’agit pas seule. Les adultes lisant l’album peuvent voir à quel moment de cette chaîne tout peut dérailler.
Quelles incidences la pandémie puis la guerre en Ukraine ont-elles eu sur le front de la pauvreté ?
E. D. : Pour les mesurer, il convient de rappeler les progrès enregistrés ces dernières décennies. Après les années 1980, pendant lesquelles le consensus de Washington [les principes économiques qui guidaient à l’époque le Fonds monétaire international et la Banque mondiale] qui leur imposait de grands équilibres budgétaires, les pays pauvres ont réussi à reprendre le contrôle de leurs politiques économique et sociale au cours des années 1990.
En suivant les objectifs du millénaire pour le développement [adoptés en 2000 par les Nations unies], très variés en termes de lutte pour l’éducation, la santé ou les droits des femmes, les gouvernements locaux ont pu s’attaquer efficacement aux problèmes concrets, essentiellement avec leurs ressources propres.
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