En Suisse, Finaport est l’une de ces entreprises respectables que la place financière aime à promouvoir. Ce cabinet de gestion de fortune basé à Zurich revendique plus de deux milliards d’euros de placements financiers et immobiliers. Il gère, pour le compte d’une clientèle triée sur le volet, les relations avec les banques et les cabinets d’immatriculation de sociétés offshore. Mais surtout, en tant que porte d’entrée sur le système financier, il est censé être la première vigie dans la lutte contre le blanchiment d’argent : la loi lui impose des vérifications strictes sur les antécédents et l’origine des fonds de ses clients.
Or, des documents confidentiels révèlent que Finaport a, jusque très récemment, géré les fonds de plusieurs personnalités soupçonnées de corruption ou visées par des poursuites judiciaires. La présence parmi elles de plusieurs membres de l’élite russe au profil sulfureux ne manquera pas de relancer le débat sur la complaisance de la Suisse à l’égard de l’argent russe, ravivé par la guerre en Ukraine. Cette enquête menée par Le Monde, en collaboration avec plusieurs médias internationaux, questionne également la surveillance par les autorités des cabinets de gestion de fortune qui, moins exposés que les grandes banques, jouent pourtant un rôle crucial dans l’attractivité financière du pays.
Ces révélations trouvent leur source dans les archives de Finaport, publiées sur le dark Net par un groupe cybercriminel en début d’année après un piratage par un rançongiciel, et repérées par la Radio-Télévision suisse. Le Monde et ses partenaires ont choisi d’exploiter cette fuite de documents malgré son origine criminelle en raison de leur intérêt public. Extrêmement récentes, ces données permettent en effet de lever le voile sur des pratiques en cours sur une place financière suisse qui se prévaut d’avoir nettoyé les écuries d’Augias, après avoir été frappée au cours de la dernière décennie par une série de scandales retentissants (Swiss Leaks, UBS, Suisse Secrets, etc.).
Un million de dollars de pots-de-vin
Si Finaport ne travaille pour aucun oligarque russe sous sanctions, plusieurs des profils de clients mis en lumière par cette fuite de données posent question, pour un cabinet à la réputation jusqu’alors irréprochable. Comme Leonid Reiman, ministre puis conseiller de Vladimir Poutine, entre 1999 et 2008, dont Finaport a géré la fortune entre 2008 et 2021. Les centaines de millions d’euros qui ont circulé au fil des années sur les différents comptes de M. Reiman, hébergés par les banques Julius Baer et Compagnie monégasque de banque, à Monaco, ne cadrent pas avec ses rémunérations officielles, bien inférieures. De quoi réactiver le soupçon d’un détournement massif de fonds publics, alors que l’ancien ministre a déjà été reconnu coupable en 2006 par une cour arbitrale suisse de malversations autour de la vente litigieuse d’un groupe de télécom russe dans les années 1990.
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