Les officiers de police en uniformes bleu marine s’engouffrent dans leurs voitures et démarrent à l’unisson dans un ballet de gyrophares. La cible de cette descente de police savamment mise en scène : Capvision, une entreprise sino-américaine spécialisée dans la mise en relation d’entreprises en quête d’informations avec des experts de différents secteurs. D’après le reportage de quinze minutes diffusé sur la télévision nationale CCTV lundi 8 mai, juste après le journal du soir, l’entreprise est accusée d’avoir « dévoilé des informations internes sensibles, des secrets d’Etat et de l’intelligence [du renseignement] ». Cette enquête fait suite à des descentes de police dans les locaux chinois de deux entreprises américaines en mars et début avril : Bain & Company, un cabinet international de conseil en stratégie dont le siège est à Boston, et Mintz, une firme installée au Canada spécialisée dans les audits. Ces événements inquiètent les consultants, et plus généralement les entreprises étrangères en Chine.
Car le message envoyé par le reportage de CCTV est clair : faire régner la peur à la fois dans les cabinets de conseil, mais surtout parmi les citoyens chinois qui s’exposent à des poursuites s’ils dévoilent trop d’informations à des entités étrangères. Sur fond de tensions avec les Etats-Unis, et alors que l’activité peine à repartir après trois ans de politique zéro Covid, toute information sur l’état réel de l’économie est jugée sensible. « Cette mesure vise à promouvoir un développement sain du secteur et à sauvegarder la sécurité nationale », a justifié, mardi, un porte-parole du ministère des affaires étrangères chinois, évoquant l’accès de l’entreprise à des « secrets d’Etat ». Cette campagne coïncide avec l’annonce du renforcement d’une loi contre l’espionnage, qui sera appliquée à partir du 1er juillet. Le texte élargit le champ de la loi à toute activité touchant à la « sécurité et aux intérêts nationaux », une notion particulièrement vaste.
Secteurs sensibles
Parmi les consultants, les sujets d’inquiétude sont nombreux : « J’ai pensé tout de suite à de l’espionnage industriel : nous avons beaucoup d’informations sur nos clients européens, confie un consultant français, qui a lui-même déjà reçu une visite de la police. Récemment, plusieurs responsables sécurité de grandes entreprises occidentales se sont inquiétés de savoir comment on stocke leurs données », ajoute-t-il. Duncan Clark, à la tête du cabinet de conseil BDA China depuis 1994, confirme : « Le climat des affaires est de plus en plus paranoïaque. » Le principal grief des acteurs économiques : l’absence de règles claires. « Les lignes changent en permanence : auparavant, enquêter sur les personnes était risqué, de même que vendre des informations personnelles peut être considéré comme illégal dans d’autres pays. Mais aujourd’hui, c’est beaucoup plus large : même des activités plus classiques comme des recherches sur les clients, les fournisseurs d’une entreprise, peuvent être exposées », poursuit M. Clark.
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