Dominique Bricard apporte le cidre. Francis Fessier, le pain fait maison. Céline et Michel Pesnel, les tomates, la vinaigrette et la vaisselle de mariage, soixante ans après. Laure de Barbeyrac, le cake thon et courgettes. Ce mercredi, la vingtaine d’habitants de ce lieu communautaire, dit « béguinage », à Valognes (Manche), se sont réunis dans la salle commune pour partager un repas et discuter de la charte de vie. Pour habiter ici, il faut avoir au moins 60 ans, ne pas être dépendant et avoir l’esprit d’entraide chevillé au corps.
L’endroit n’est ouvert que depuis six mois. Sur la propriété flambant neuve de 6 000 mètres carrés, face à la gare, dix-huit appartements et dix maisons sont disposés en U avec jardinets attenants. Une structure héritée du béguinage traditionnel, natif d’Europe du Nord : au Moyen Âge, les « béguines », célibataires ou veuves appartenant à un mouvement spirituel de femmes libres de la tutelle des hommes, vivaient, chacune dans son logement, autour d’une cour carrée. « C’est facile de se rencontrer, de se faire coucou », témoigne Céline Pesnel, une habitante de 83 ans dont le rideau reste toujours entrouvert.
Chaque locataire paie un loyer compris entre 295 et 700 euros hors charges. La participation à l’entretien des parties communes est calculée selon les revenus. « Vivre ici permet de retarder l’Ehpad au maximum », explique Michel Pesnel, 83 ans, qui distribue tomates, haricots et salades de son potager à ses voisins. Chaque habitant signe un contrat qui l’engage à participer à la vie du lieu.
Quelques dizaines de places, et des centaines de demandes
Si, parfois, le ton monte en réunion, les locataires parlent d’une ambiance agréable. Avant d’intégrer une maison de 56 mètres carrés, Dominique Bricard, 72 ans, a vécu trois ans dans une résidence pour seniors privée à Cherbourg : « Je payais 1 700 € pour 45 mètres carrés dans un lieu sans vie sociale. Ici, c’est 820 euros tout compris, et je vais monter un atelier d’écriture et de chant. »
A l’origine du projet, Tristan Robet ne supportait pas de voir le secteur privé s’emparer du marché lucratif de la vieillesse alors que le nombre de Français âgés de 75 à 84 ans devrait augmenter de 50 % entre 2020 et 2030. Il crée alors l’association Béguinage solidaire (sans vocation religieuse). Il explique ce système dans un livre, à paraître le 28 septembre, écrit avec la psychologue spécialiste de la fin de vie Marie de Hennezel (Vieillir solidaires, Robert Laffont).
Pour acheter et réhabiliter cet hôtel particulier, abandonné pendant trente ans après avoir hébergé une institution religieuse, l’association a réuni 4,6 millions d’euros (2,2 millions d’euros sont financés par de l’épargne solidaire et des subventions publiques et privées, et 2,4 millions par des emprunts garantis par les collectivités locales).
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