Crise climatique : « Renoncer au temps de la délibération démocratique, c’est souvent laisser la place aux intérêts industriels »

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Maître de conférences à l’Ecole des hautes études en sciences sociales et membre du Centre international de recherche sur l’environnement et le développement (Cired), Antonin Pottier, dont les recherches portent sur le rôle des sciences économiques dans la transition écologique, a dirigé Concilier économie et écologie (Presses des Ponts, 354 p., 45 euros), qui rassemble des textes fondateurs du Cired.

De quelle façon la réflexion économique sur l’environnement s’est-elle nouée d’emblée avec celle du développement ?

Au début des années 1970 s’exprime la crainte que la protection de l’environnement, impulsée depuis les pays riches, pourrait se faire au détriment du développement des pays pauvres. Ignacy Sachs [1927-2023] et les économistes du Cired proposent alors de repenser les objectifs de la croissance en partant de l’idée qu’il faut la mettre au service d’une égalisation des conditions entre les nations. C’est l’écodéveloppement, un développement en harmonie avec l’environnement. Celui-ci se distingue de la « croissance zéro », parce qu’on ne renonce pas à toute forme de croissance. Il se distingue aussi du « développement durable », qui ne remet pas en cause les inégalités internationales.

Comment mettre concrètement en œuvre cet écodéveloppement ?

Par la planification, mais pas n’importe laquelle. A travers son expérience de la Pologne, de l’Inde, du Brésil et de la France, Sachs a pu mesurer les limites des outils de planification tels qu’on les avait conçus au Nord comme au Sud, à l’Est comme à l’Ouest : tantôt ils cherchent à prévoir ce qu’il faudra produire à partir de chiffres faux, tantôt ils conduisent à produire des choses dont on n’a pas besoin. Introduire l’environnement au cœur des problématiques de la planification lui apparaît alors comme une manière de surmonter ces difficultés récurrentes. C’est lié à la nature très matérielle des enjeux environnementaux. En prenant en compte les pollutions, les milieux de vie, et en visant une meilleure gestion des ressources, il devient possible de ne plus seulement se demander : « Comment produire ? », mais : « Pourquoi le produire ? » Et, finalement, de se demander : « De quoi avons-nous besoin ? »

S’agit-il d’une planification plus démocratique ?

Sachs parle plus précisément de « développement endogène ». Il s’agit d’une planification dans laquelle on introduit davantage de consultations dans les territoires afin d’impliquer les populations locales dans la décision.

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Mais ceci n’est possible qu’à condition de s’affranchir d’indicateurs purement monétaires. Ceux-ci occultent toute l’économie cachée, ce « hors marché » qui échappe aux appareils statistiques, mais aussi dématérialisent la réflexion économique. Chercher à prévoir les revenus qu’on aura dans vingt ou trente ans ne dit pas grand-chose de la société que l’on veut construire. Sachs, qui a été marqué par les écrits de Fernand Braudel et Michel de Certeau, propose que l’on prenne en compte, dans les projections, les usages du temps qui structurent le quotidien. Raisonner en termes de temps sociaux permet de rematérialiser les prévisions économiques : combien de temps pour la production, pour le repos, pour le loisir, mais aussi quel cadre de vie, pour quels usages et selon quel partage.

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