Couper le système informatique qui permet de piloter à distance quatorze postes électriques haute tension est-il un acte de protestation inoffensif et banal dans le cadre d’un mouvement social, ou un geste grave, susceptible de provoquer des catastrophes en série ? Cette question aussi technique que politique fut au cœur des neuf heures d’audience du procès de quatre ex-agents de maintenance de RTE, entreprise gestionnaire du réseau public de transport d’électricité, mardi 28 février, devant le tribunal correctionnel de Paris.
Les prévenus ont reconnu avoir programmé des pertes de « téléconduites » dans des postes électriques haute tension autour de Valenciennes en juin et juillet 2022 pour « se faire entendre » sur leurs demandes d’augmentations de salaires, alors qu’un rude conflit social secouait l’entreprise depuis quatre mois déjà.
Quand elle constate cette perte simultanée d’observabilité et de manœuvrabilité du réseau, l’entreprise soupçonne un acte de malveillance et porte plainte contre X le 26 juillet à Lille. Ces faits, indiquent le premier procès-verbal, peuvent constituer une infraction à l’article R323-37 du code de l’énergie, passible de 1 500 euros d’amende.
Mais l’incident change d’ampleur trois jours plus tard lorsque le directeur de la sûreté du groupe RTE, l’ancien général de gendarmerie Marc Betton, alerte directement la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) de ces faits susceptibles de provoquer « dans le pire des scénarios » des coupures d’électricité « incontrôlées » dans les Hauts-de-France, la Belgique et l’Angleterre.
Mis à pied, interpellés, licenciés
Le même jour, la section cybercriminalité du parquet de Paris saisit officiellement la DGSI, requalifiant les faits en « entrave à un système de traitement de données », et surtout « sabotage informatique », réprimé par l’article 411-9 du code pénal, qui évoque « l’atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation », prévoit des peines allant jusqu’à quinze ans de réclusion criminelle (vingt ans en cas de collusion avec une puissance étrangère) et enclenche une procédure d’exception, dans ses moyens d’enquête et ses mesures de contraintes.
Rapidement identifiés par une enquête interne de RTE, appuyée par les moyens techniques de la DGSI – géolocalisation, mise sur écoute – les quatre hommes sont mis à pied dès septembre. Des trentenaires sans casier judiciaire, employés modèles. Interpellés et menottés devant leurs enfants, ils passent soixante-seize heures en garde à vue. Là, ils reconnaissent les faits. Ils ont tous été licenciés depuis.
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