Pour la députée socialiste Dieynaba Diop, pas de doute: « Bien sûr qu’il y a des addictions à l’Assemblée. » « Une addiction, c’est le reflet de votre vulnérabilité et comme député, vous êtes tout le temps scruté et donc très vulnérable », estime l’élue socialiste.
Plusieurs affaires récentes montrent que le Parlement n’est pas épargné par l’explosion de l’usage de certains stupéfiants comme la cocaïne et la consommation toujours importante d’alcool constatée en France. Dernier exemple en date: l’interpellation du député insoumis Andy Kerbrat pris en flagrant délit d’achat de 3MMC, une drogue très utilisée pour le chemsex, fin octobre.
« Tout métier qui est stressant, avec des horaires décalées, de fortes responsabilités est un terrain très favorable aux addictions », avance Amine Benyamina, chef du service psychiatrie et addictologie à l’hôpital Paul Brousse.
« Du coca au café jusqu’aux stupéfiants »
D’un côté, un marathon de deux jours au minimum par semaine à Paris, entre réunions de groupe, commissions, questions au gouvernement et parfois séances de nuit. De l’autre, le reste de la semaine, la pression d’une circonscription, avec des électeurs parfois mécontents et les vicissitudes de la vie politique locale… Le mandat de député est exercé dans des conditions particulières.
« Si vous voulez tenir un rythme très élevé pendant très longtemps, vous consommez des choses qui peuvent aller du Coca ou du café à minuit jusqu’à des stupéfiants. C’est une évidence dans tous les camps politiques », avance le sénateur PS et médecin Bernard Jomier.
« Moi, je fume presque quatre fois plus quand je suis à l’Assemblée et ma consommation de caféine explose », affirme le député Horizons Vincent Thiébaut.
« C’est sûr que si vous êtes un peu fragile, un peu seul dans votre vie perso, vous pouvez facilement vriller un peu voire même beaucoup. Et le plus facile pour se remonter le moral, c’est évidemment l’alcool « , partage l’un de ses collègues.
Des gendarmes dans le bureau d’un député alcoolisé
Ces dernières années, plusieurs députés ont été épinglés par la justice pour des infractions sous l’emprise de l’alcool. L’insoumis Aurélien Taché (LFI) a par exemple été condamné en septembre 2022 pour avoir insulté des policiers qui intervenaient après une agression dont il avait été victime. Il était poursuivi pour outrage et violence par personne en état d’ivresse.
Le député communiste Nicolas Sansu a, lui, été condamné par la justice pour conduite en état d’ivresse en février 2023 après avoir notamment invectivé des policiers. Il a dû se soumettre à un obligation de soins.
L’ex-président de l’Assemblée nationale François de Rugy se remémore de son côté un pot de fin de session parlementaire en juillet 2018 qui a tourné au vinaigre, entre musique à plein tube, alcool à gogo dans les bureaux des députés et appels des riverains.
« Tout cela a quand même fini avec les gendarmes de l’Assemblée nationale qui sont intervenus » dans le bureau d’un député, affirme l’ex-locataire du Perchoir à BFMTV.com.
Tous contactés par BFMTV.com, aucun de ces élus n’a souhaité répondre à nos questions.
« L’air d’un casse-pied si vous refusez un verre »
Il faut dire que contrairement à la plupart des règlements intérieurs des entreprises, la consommation d’alcool n’est pas interdite à l’Assemblée nationale. « Il y a toujours de l’alcool pas très loin », remarque de son côté un ancien conseiller ministériel. « On a évidemment beaucoup de moments de convivialité en politique, que ce soit entre collègues ou en circonscription avec de nombreux pots après des événements. »
Une buvette, réservée aux élus, permet même de s’accouder dans une salle d’inspiration Art nouveau pour boire un café ou de l’alcool entre deux pauses dans l’hémicycle. La tradition veut d’ailleurs qu’un ministre qui a réussi à faire voter un projet de loi invite les députés de son camp à trinquer au champagne.
« Il y a un côté festif à la buvette, un peu léger. Mais à côté de ça, il y aussi ceux pour qui ça permet aussi de tenir le coup quand vous devez siéger parfois très tard. Certains abusent un peu trop, c’est certain », reconnaît un ex-député macroniste.
« À Paris, on peut refuser un verre plus facilement qu’en circonscription quand on fait une galette de roi », nuance un élu de l’Est. « Vous avez l’air d’un casse-pied si on vous propose un verre et que vous refusez. Et je n’en parle même pas si vous êtes élu d’un territoire viticole », soupire un autre.
« On voit le comportement changer au fur et à mesure »
Quant à la consommation de drogues, plusieurs affaires ont défrayé la chronique ces dernières années. L’ancien député Emmanuel Pellerin a par exemple reconnu pendant son mandat en 2023 avoir possédé et consommé de la cocaïne. Il avait été exclu de Renaissance et s’était mis en retrait de son groupe, qu’il avait réintégré une fois que la justice avait classé l’affaire sans suite.
Le sénateur Joël Guerriau (Horizons), mis en examen pour tentative d’agression sexuelle sous soumission chimique sur la députée Sandrine Josso, avait été testé positif à de nombreuses drogues pendant une garde à vue. Les analyses avaient trouvé des traces d’amphétamines, d’opiacés, de cannabis, de cocaïne et de MDMA.
« On est parfois surpris quand on voit le profil des gens qui ont un problème en la matière », nous confie un sénateur en évoquant le cas de Joël Guerriau.
« Il y a des collègues dont on voit le comportement changer au fur et à mesure de leur mandat. On peut avoir des soupçons bien sûr mais c’est toujours compliqué d’aller en parler ouvertement », assure un élu.
« Dire qu’on a besoin de se faire aider est inentendable »
Tous les parlementaires interrogés assurent n’avoir jamais vu l’un de leurs collègues utiliser des produits stupéfiants. « Il y a des soirées où la drogue circule », assurait pourtant la macroniste Caroline Janvier, alors députée en novembre 2023 dans les colonnes de Paris Match. Sans retirer ses propos, l’élue avait dû ensuite s’excuser auprès de son groupe et refuse désormais d’évoquer le sujet.
« Les gens ont peur d’en parler parce qu’on ne vous passe rien quand vous êtes député. Il y a un vrai tabou, tout le monde le sait ici. La toxicomanie est une maladie pourtant », regrette de son côté la députée socialiste Dieynaba Diop.
Il faut dire qu’en politique, le mythe du surhomme domine l’imaginaire. D’Emmanuel Macron qui assure ne dormir que quelques heures par nuit – tout comme Gabriel Attal – à Nicolas Sarkozy qui jurait courir l’équivalent d’un marathon chaque semaine quand il était à l’Élysée, « on ne fait pas de politique en affichant ses faiblesses », remarque le sénateur socialiste Bernard Jomier.
« Dire que vous allez mal est difficile mais dans notre monde encore plus. Tout marche au rapport de force quand vous êtes élu. Dire qu’on est fatigué, au bout du rouleau, qu’on a besoin de se faire aider est inentendable », regrette une députée écologiste.
« Chacun gère les siens »
De quoi pousser certains députés à espérer que l’Assemblée nationale fasse des campagnes de prévention interne. « Chacun gère son mandat sans accompagnement », déplore le député Renaissance Guillaume Gouffier-Valente qui réclame « beaucoup plus de prévention ».
« On pourrait imaginer un rendez-vous en début de mandat puis au milieu avec un médecin comme ça se fait en médecine du travail », défend encore Dieynaba Diop. Si les députés ont bien un généraliste à disposition à l’Assemblée, ce dernier, qui n’a pas souhaité répondre à nos questions, n’a pas d’action particulière en terme de prévention des addictions.
Contacté, le cabinet de Yaël Braun-Pivet renvoie, lui, le sujet à la questure, en charge de la question des formations pour les députés. « Nous n’avons pas eu de demande en ce sens », assure de son côté la questeure LR Michèle Tabarot.
« Chacun gère les siens », juge de son côté un proche de Yaël Braun-Pivet. « Quand il y a un problème en séance, le vice-président au perchoir à ce moment-là demande au président de groupe de trouver une solution. Ce n’est pas plus compliqué que cela. »
Le constat laisse cependant dubitatif dans les rangs de l’Assemblée.
« Vous savez, les relations hiérarchiques et la politique, ce n’est vraiment pas évident. On peut conseiller à un député d’aller voir un médecin, éviter qu’il ne soit chef de file sur un texte mais à part ça… », souffle un collaborateur de groupe.
Seul précédent en la matière: l’ancien député du Pas-de-Calais Gilles Cocquempot. Ex-figure de la gauche dans les Hauts-de-France, cet élu avait été condamné en 2003 pour conduite en état d’ivresse avant d’être de nouveau condamné en 2005 avec obligation de soins. De quoi pousser la fédération locale du Parti socialiste à finalement l’évincer après une décennie à l’Assemblée.
Article original publié sur BFMTV.com