samedi, mai 18

« Pacha est mort. » Les mots sont parfaitement clairs, mais il me faut quelques instants pour enregistrer l’information et surtout tenter de me rappeler qui est Pacha. Au bout du fil, Anna Ouvarova, la maman de Nikita, un ancien « héros » de reportage. L’adolescent anar et rebelle, « terroriste » aux yeux du régime, a été condamné à cinq années de prison pour un projet d’attentat inexistant – la vague idée, avec ses copains, de faire sauter un immeuble du FSB dans Minecraft, un jeu vidéo dans lequel l’utilisateur peut modeler des bâtiments.

Nous étions allés voir la famille de Nikita à Kansk, un trou perdu et déprimé dans la région sibérienne de Krasnoïarsk, en avril 2021. Anna Ouvarova nous avait installés, la photographe Maria Turchenkova et moi, chez sa sœur. Là, il y avait Maxime, le cousin aux cheveux bleu-vert de Nikita, et “Pacha”, Pavel Jevnerovitch. Au moment où les pièces commencent à se mettre en place, Anna Ouvarova précise : « Pacha, le garçon sur la couverture… »

C’est le service iconographie de M Le magazine du Monde qui avait fait ce choix : plutôt que celle de Nikita, déjà incarcéré, c’est une photo pleine de mélancolie de son cousin s’exerçant face au vide de la steppe qui avait été choisie pour faire la une du magazine. Pacha, le jeune homme de 18 ans qui ricanait bêtement pour masquer sa timidité. Pacha qui n’avait qu’un rêve : s’engager dans l’armée…

Curieusement, avant même de me souvenir de lui, j’ai su que « Pacha est mort » voulait dire « mort à la guerre ». Il y a de multiples façons de mourir, quand on a 20 ans, dans un endroit comme Kansk : alcool, violence, accident… Mais, ces derniers mois, ces dernières années, c’est à la guerre en Ukraine que les habitants des marches déprimées de l’empire paient leur dû. Sur l’une des chaînes Telegram recensant les morts de l’« opération spéciale » (uniquement celles connues de sources ouvertes), on trouve quarante-deux noms de tués originaires de Kansk, quatre-vingt-cinq mille habitants. Celui de Pavel Jevnerovitch n’y figure pas – seulement deux messages vidéo de proches implorant d’obtenir des nouvelles, des bribes d’informations.

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La recherche d’un corps, d’une confirmation officielle est un calvaire dans le calvaire que vivent des milliers de familles de soldats russes tués au front. Le coup de téléphone d’Anna Ouvarova remonte à début décembre 2023. Elle-même venait d’être avertie du sort de son neveu par un camarade de régiment. Pacha était mort quelques jours plus tôt, atteint par un éclat d’obus dans le dos, non loin de la ville ukrainienne d’Avdiïvka, dans le Donbass, dont l’armée russe s’emparera en février.

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