Le climat politique a beau être tendu, les modes d’expression de nos dirigeants se sont singulièrement banalisés. Les plus anciens se souviennent avec émotion de François Mitterrand jonglant avec l’imparfait du subjonctif et de Georges Marchais écorchant la langue française, mais aussi des liaisons facultatives qui ne l’étaient pas pour Jacques Chirac (« Le chômage est au plus bas “depuis-z-un” quart de siècle. »). Aujourd’hui, le politique parle – presque – comme tout le monde.
Les aficionados reconnaissent certes la maîtrise oratoire de Jean-Luc Mélenchon, adepte du nous de majesté et des citations ampoulées, mais ses talents ne le protègent pas de l’impopularité. Quant à Jordan Bardella, il s’en tient à un parler parfaitement lisse sur la forme, à peine émaillé de l’emploi répétitif de l’expression latine « de facto ». Faute d’avoir trouvé un slogan efficace, Eric Zemmour s’en était remis, pendant l’élection présidentielle de 2022, à la locution interjective « ben voyons ! », répétée ad libitum.
Emmanuel Macron, familier de l’offensif « pardon de vous le dire », se distingue par son aptitude à passer d’un registre à l’autre. Il est capable de puiser avec frénésie dans le jargon de la « start-up nation », en vantant le deep learning ou l’approche bottom-up, mais aussi de se complaire dans une terminologie carrément obsolète. Le président adore accuser ses détracteurs de raconter des « carabistouilles », des « ritournelles », des « craques » ou des « pipes ». Le recours à un vocabulaire vieilli est courant dans la vie politique. On se souvient du général de Gaulle se posant en rempart contre « la chienlit », de Lionel Jospin traitant Alain Juppé de « gommeux » ou de la diversion « abracadabrantesque » de Jacques Chirac.
Don de soi et sens du devoir
Les codes de la démocratie passent aussi par quelques mots fétiches que l’on glissera avantageusement dans une prise de parole. Ainsi, tout responsable politique se doit de porter haut le verbe « assumer ». Expression de son identité profonde – ou de son ADN, une formule devenue une authentique tarte à la crème – et de sa détermination, on « assume » ses erreurs et, plus encore, ses valeurs, autre concept passe-partout. Ouvrir un discours avec un théâtral « en responsabilité, j’ai décidé de… » souligne le don de soi et le sens du devoir de celui ou celle qui s’exprime. La locution, forgée jadis par les éléphants du Parti socialiste, a fait tache d’huile.
Quant aux électeurs qui n’habitent pas en région parisienne, fief des « technocrates déconnectés de la réalité », ils doivent savoir qu’ils résident non plus en province, ni même en région, mais « vivent la ruralité au cœur de nos territoires ». L’expression est un brin paternaliste et renvoie à ce qui pourrait ressembler à des réserves d’Indiens, mais elle a fait florès auprès de tous les partis.
Il vous reste 11.7% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.