« D’habitude, je fais sept pauses pendant la montée », souffle Luland Jean-Pierre, le directeur de l’école élémentaire Mark-Bourque, sur les hauteurs de Port-au-Prince, la capitale haïtienne. En ce lundi d’octobre, comme chaque matin, le pédagogue de 70 ans arpente le chemin, bien trop pentu et caillouteux pour être carrossable, qui mène à son petit établissement, perché au sommet du morne (colline) qui surplombe le quartier de Debussy. Depuis sa nomination, en 2018, le directeur effectue quotidiennement cette randonnée de près de 3 kilomètres dans son costume-cravate démodé, chaussures impeccablement cirées aux pieds. « Quand il pleut, on le fait aussi, dit le septuagénaire avec un sourire résigné. La seule différence, c’est qu’on ne voit pas grand-chose. »
Entourée d’arbres fruitiers, de bananiers et de touffes de plantes aux vertus médicinales autour desquelles gambadent de rustiques poules rousses, la petite école semble nichée au milieu d’un éden qui ferait presque oublier son aspect vétuste, ses salles mal éclairées et les déchets qui jonchent les sentiers. Le panorama sur le centre de Port-au-Prince et sa baie est époustouflant.
Mais, même dans cet endroit reculé, les malheurs qui accablent le pays – la misère et la violence des gangs surarmés qui contrôlent 90 % de la capitale et de son agglomération – ne sont jamais bien loin. Devant le bureau du directeur, une file de parents d’élèves patientent avec leurs doléances. « Mon mari a été tué il y a quatre mois. Je n’ai pas les moyens d’inscrire mes enfants », se désole Annacia Saint-Louis, mère de cinq enfants et enceinte du sixième. Dans cette école communautaire fondée en 2006 par un groupe de policiers québécois, les frais de scolarité sont pourtant modiques : seulement 1 500 gourdes (environ 10 euros) par enfant pour toute l’année.
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