jeudi, juin 27

Une nouvelle page de la démocratie sud-africaine s’est écrite, vendredi 14 juin. Si Cyril Ramaphosa, le président sortant, a été réélu par l’Assemblée nationale pour un deuxième mandat, tout le reste est appelé à changer. Alors qu’il régnait en maître sur la politique sud-africaine depuis la fin de l’apartheid, le Congrès national africain (ANC), contraint de former une coalition pour conserver le pouvoir, a finalement signé un accord avec son principal adversaire, l’Alliance démocratique (DA), pour diriger le pays ensemble au sein d’un « gouvernement d’union nationale ».

« Il s’agit d’un moment historique dans la vie de notre pays qui exige que nous travaillions et agissions ensemble pour consolider notre démocratie constitutionnelle et l’Etat de droit, et construire une Afrique du Sud pour tous ses habitants », a déclaré le président Cyril Ramaphosa après sa réélection, saluant l’avènement d’une « nouvelle ère ».

Après avoir essuyé un revers cinglant à l’issue des élections du 29 mai, le parti de libération de l’Afrique du Sud, qui a rassemblé à peine 40 % des voix contre 57 % en 2019, a reconnu avoir « perdu le pouvoir » et invité tous les partis à la table des négociations. Une initiative destinée à former une majorité au sein de l’Assemblée et qui a abouti vendredi matin avec la signature de la DA, deuxième force politique du pays, qui a recueilli 21,8 % des voix aux élections.

Si de plus petits partis se sont joints à l’accord, celui-ci ouvre la voie à un recentrage de la vie politique autour des deux grandes forces du pays. Un développement accueilli avec un soupir de soulagement par les marchés financiers, qui craignaient une alliance avec les Combattants pour la liberté économique (EFF) ou Umkhonto we Sizwe (MK), le parti de l’ancien président Jacob Zuma, deux formations populistes associées à divers scandales de corruption et qui plaident pour des réformes économiques radicales.

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« C’était la meilleure solution possible compte tenu des options sur la table à court terme. C’est un gouvernement de stabilité et c’est un gouvernement qui unifie le centre contre les forces anticonstitutionnelles qui ont émergé dans le pays », résume Niall Reddy, chercheur au sein du Southern Center for Inequality Studies, un centre de recherche de l’université Witwatersrand, à Johannesburg. Les EFF et le parti MK, qui ont recueilli respectivement 9,5 % et 14,6 % des voix aux élections, ont rejeté l’idée de prendre part à un gouvernement d’union nationale aux côtés de la DA, une formation qu’ils associent à la défense des privilèges de la minorité blanche. « Ce n’est pas un gouvernement d’union nationale, c’est une grande coalition entre l’ANC et le monopole capitaliste blanc », a dénoncé le dirigeant de l’EFF, Julius Malema, après l’élection de Cyril Ramaphosa.

Déminer le terrain

Alors que cette perception est aussi celle d’une partie de la population et des membres de l’ANC, le parti s’efforce de faire accepter l’idée d’une collaboration entre les deux formations. Annonçant que l’ANC avait obtenu « une avancée sur un accord commun » de gouvernement avec plusieurs partis, jeudi, son secrétaire général, Fikile Mbalula, s’est ainsi longuement employé à déminer le terrain : « Nous ne reculerons pas sur le concept de gouvernement d’union nationale parce que nous pensons qu’il reflète le résultat des élections. Pour nous, peu importe que le chat soit noir ou blanc, la question fondamentale est : comment fait-on avancer l’Afrique du Sud en prenant en compte le résultat des élections ? »

Si le parti reconnaît être « fragilisé » après sa claque électorale, « l’ANC ne va pas mourir », assure Fikile Mbalula en réponse à ceux qui « s’empressent de penser que l’ANC […] va être avalé » : « Comment peut-on être avalé avec 6 millions de votes ? […] Nous avons été repoussés, mais nous ne sommes pas finis et nous ne sommes pas en position d’abandonner ce en quoi nous croyons. »

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Du côté de la DA, à l’inverse, l’heure est au triomphe. « Aujourd’hui, la DA devient un parti de gouvernement national. Ce qui était impensable lorsque son prédécesseur n’avait obtenu que 1,7 % des voix, en 1994, est désormais une réalité », s’est réjoui son dirigeant, John Steenhuisen, dans un discours annonçant la participation de son parti au futur gouvernement. Saluant des négociations « intenses mais très matures », il a promis de prendre part à la gestion de l’Afrique du Sud « dans un esprit d’unité et de collaboration ».

Les partis membres de l’accord ont signé une déclaration d’intention qui pose des principes fondamentaux d’adhésion aux valeurs de la Constitution sud-africaine et dresse la liste des priorités du futur gouvernement. En tête de celles-ci figure, sans surprise, le retour à une croissance « rapide, inclusive et durable », alors que l’Afrique du Sud stagne autour de 0,8 % de croissance. La déclaration d’intention souligne aussi la nécessité de maintenir un « filet de sécurité sociale », pilier de la politique de l’ANC, alors que la DA plaide pour des réformes libérales.

« Un document réaliste »

L’accord pose également les bases des mécanismes de gouvernance entre les membres de la coalition. Le gouvernement sera constitué en fonction du nombre de sièges que possèdent les différents partis signataires à l’Assemblée. A défaut de consensus, les décisions devront être prises avec l’accord de formations représentant au moins 60 % des sièges. En l’état actuel, cela signifie qu’aucune décision ne pourra être prise sans le feu vert de l’ANC ou de la DA. Faute d’entente entre ces deux partis, un mécanisme de résolution des conflits dont les détails restent à définir devra prendre le relais.

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« C’est un document réaliste quant à la nécessité de poser des mécanismes destinés à gérer les désaccords qui surgiront inévitablement dans un gouvernement multipartite », a souligné le dirigeant de la DA. Le parti de centre-droit, qui passe pour un modèle de gestion au niveau local, entend promouvoir l’efficacité dans la gestion des services publics et la lutte contre la corruption au sein du futur gouvernement.

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Mais, rappelle John Steenhuisen, « l’Afrique du Sud a le taux de chômage le plus élevé au monde, l’un des taux de criminalité les plus élevés au monde, les circuits logistiques et les infrastructures sont dans un état de déclin avancé et la corruption est endémique : aucun d’entre nous ne doit s’attendre à ce que ces problèmes soient résolus du jour au lendemain ».

Le pays devra par ailleurs composer avec une nouvelle opposition cristallisée autour du parti de Jacob Zuma, devenu la troisième force politique du pays quelques mois à peine après sa création. La formation, qui assure que « des centaines de milliers de votes » lui ont été volés sans apporter de preuves, a boycotté la première session de l’Assemblée nationale et l’élection du président.

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