jeudi, décembre 18

Dès l’ouverture de l’audience, l’ex-anesthésiste avait donné le ton. « Je suis innocent », déclarait Frédéric Péchier à la barre le 8 septembre à Besançon dans le Doubs, où il s’apprêtait à être jugé pendant plus de trois mois pour 30 empoisonnements dont 12 mortels.

L’ex-médecin était soupçonné d’avoir pollué les poches de perfusion de patients pris en charge par ses collègues dans le but de provoquer un arrêt cardiaque, puis de les réanimer. Selon l’accusation et les parties civiles, l’homme aurait agi ainsi pour se venger de certains confrères avec lesquelles il était en conflit et montrer ensuite ses qualités de réanimateur. Un scénario qu’il n’a eu de cesse de nier pendant de longues semaines d’audience au cours d’un procès-fleuve.

« Je n’ai jamais empoisonné quelqu’un »

Frédéric Péchier a comparu libre, soutenu par ses parents et ses enfants notamment. L’accusé était cependant attendu au tournant par les victimes et proches de victimes qui espéraient des explications, convaincus qu’il a sciemment empoisonné des poches entre 2008 et 2017 dans deux cliniques, ayant ainsi provoqué la mort de 12 personnes.

L’intéressé n’a pas tardé à doucher leurs espoirs: non, a-t-il clamé chaque fois qu’il en a eu l’occasion, il n’a rien fait de répréhensible. « Je n’ai jamais empoisonné quelqu’un, je n’ai jamais empoisonné de poche », affirme-t-il ainsi le 8 septembre.

L’enquête, qui a duré huit ans, n’avait permis de rassembler qu’un faisceau d’indices le présentant comme le « dénominateur commun » des 30 empoisonnements recensés par la justice. À la barre, l’ancien directeur d’enquête sur le dossier décrivait des « scènes de crime » complexes, auregard des spécificités du milieu médical.

« Les armes utilisées sont différentes: ce ne sont pas des armes létales ou de guerre. Là, les armes, ce sont des médicaments. (…) C’est aussi un milieu aseptisé, avec une hygiène maximum, des gens qui utilisent des gants donc pas de traces d’ADN », relate Olivier Verguet, décrivant un milieu couvert par le secret médical et des investigations portant sur des faits anciens, pour lesquels il est difficile de récupérer des preuves accablantes.

« Personne ne m’a vu faire! Il faut des preuves! », s’exclamera plus tard l’ancien anesthésiste, s’engouffrant dans cette brèche.

Revirements et « lapsus »

Alors qu’il jugeait, au début de l’enquête, l’hypothèse d’une pollution des poches peu convaincante, l’accusé en fait finalement sa ligne de défense. Selon lui, tout concorde même à dire que l’un de ses collègues a sciemment empoisonné des patients pour le discréditer.

Le dernier cas d’empoisonnement recensé, en 2017, seul cas où l’arrêt cardiaque survient alors que Frédéric Péchier est lui-même en charge de l’anesthésie, en est d’ailleurs la preuve, assure-t-il. Cette année-là, en janvier, Jean-Claude Gandon, 70 ans, est emmené au bloc pour se faire opérer d’un cancer de la prostate. L’homme fait un arrêt cardiaque avant d’être ranimé par le docteur Péchier grâce à des intralipides. Ce dernier y voit un signe que l’on a essayé de le piéger sur l’une de ses opérations.

Alors qu’il ne reconnaissait un empoisonnement que pour ce cas précis (tout en contestant en être à l’origine), sa version évolue au fil des jours et des cas examinés par la cour. Peu à peu, il admet l’existence d’empoisonnements pour 11 autres arrêts cardiaques, accréditant la thèse d’un tueur en série au sein des deux cliniques.

Mais à certains moments, sa position semble plus floue. Comme lorsqu’il doit s’expliquer sur un arrêt cardiaque survenu en 2011, pour lequel il avance la piste d’un acte malveillant avant d’évoquer, une heure plus tard, un choc allergique. La présidente lui fait remarquer cette contradiction. « Alors je l’ai reconnu, si vous voulez! », lance alors Frédéric Péchier.

Interrogé sur le cas d’une autre patiente, le 22 septembre, il répète qu’il n’a « jamais pollué la poche de Madame Simard »… avant d’ajouter: « Personne ne m’a vu faire. » Une petite phrase que l’accusation a perçue comme un lapsus révélateur.

Son avocat joue sur l’absence de preuves accablantes

Son avocat, Me Randall Schwerdorffer, s’est aligné sur la position de son client tout au long du procès, lui aussi « convaincu qu’il y a un empoisonneur dans cette clinique ». « La seule question que je pose toujours, c’est: qui est-ce? », a-t-il confié à la presse.

Lors de sa plaidoirie, ce lundi, l’avocat avait tenté d’instiller le doute dans l’esprit des jurés. Pour lui, l’accusation, qui a requis la perpétuité contre son client, « est venue soutenir qu’il y a des éléments de preuves accablants, alors que c’est le néant de la preuve ».

« On n’est pas là pour préjuger quelqu’un, on est là pour le juger », a-t-il insisté, demandant aux jurés de prononcer l’acquittement de son client et de passer outre le manque d’empathie qui lui a été reproché.

Face aux patients qui ont survécu et ont défilé pendant trois mois à la barre, Frédéric Péchier a affiché un stoïcisme déconcertant. « J’ai ressenti du mépris. Et le mépris blesse autant que la seringue qui vous empoisonne », lance Sandra Simard, avant-dernière victime recensée, à la barre le 18 septembre, en évoquant l’attitude détachée du médecin.

« Ma conviction, c’est qu’il m’a empoisonnée », confiait-elle encore la semaine dernière à BFMTV. C’est désormais à la cour, composée de six jurés populaires et trois magistrats professionnels, de se prononcer sur la culpabilité ou l’innocence de l’accusé.

Article original publié sur BFMTV.com

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