mercredi, octobre 9

Emmanuel Macron s’exprime dans les colonnes de « Variety », la bible de l’industrie hollywoodienne.
Un entretien axé sur des thématiques culturelles et internationales, loin de la politique française.
Il revient également sur la participation de son épouse Brigitte à la série « Emily in Paris » sur Netflix.

Un chef d’État étranger en une de Variety ? C’est rarissime. Alors que son Premier ministre Michel Barnier entre en zone de turbulences à l’Assemblée avant la présentation du budget 2025, Emmanuel Macron s’exprime en anglais dans les colonnes de la revue de référence de l’industrie hollywoodienne. Un entretien réalisé à l’Élysée par la journaliste Elsa Keslassy, à la veille de l’ouverture du Sommet de la francophonie, et qui balaie un éventail de sujet très large, de la régulation de l’intelligence artificielle par l’Union européenne à la prochaine élection américaine en passant par l’impact des JO de Paris et la participation très commentée de son épouse Brigitte à un épisode de la série Emily in Paris.

Sur la culture française

« Je dois tout à la culture et la langue française« , explique Emmanuel Macron dans celle de Shakespeare. « Je suis un enfant de la province française, d’Amiens, et ma vie a changé parce que j’ai eu la chance d’avoir une grand-mère qui m’a fait aimer lire, qui m’a appris la littérature. J’ai passé des heures enfant et adolescent à lire à haute voix avec elle et à habiter la littérature française. » Interrogé sur ses films français préférés, le chef de l’État cite les classiques des années 1960 et 1970. « Cent Mille Dollars au Soleil, Le Deuxième Souffle, Les Tontons Flingueurs : j’adore cette période du cinéma français. »

Je ne pense pas que tout le monde soit ravi d’avoir une culture française si vive, pluraliste, irrévérencieuse

Emmanuel Macron

Emmanuel Macron aborde également l’exception culturelle et son coût dans un contexte économique précaire. Grâce notamment à la taxe prélevée sur les entrées par le Centre national du cinéma (CNC), la France est parvenue à conserver une production nationale conséquente, avec des succès aussi variés que Le Comte de Monte Cristo et Anatomie d’une chute. « Cette biodiversité créative est très importante parce qu’il ne devrait pas y avoir un seul modèle, parce qu’il n’y a pas qu’un seul public, et parce que la façon d’expliquer le monde, de le regarder, varie« , plaide-t-il. « Je suis attaché à ce modèle. »

Ce modèle serait-il menacé si l’extrême droite accédait demain au pouvoir ? « Je ne pense pas qu’il doit être pris pour acquis« , avance-t-il, la seule sinon unique allusion à la politique française. « Des décisions pourraient être prises à la hâte. Je ne pense pas que tout le monde soit ravi d’avoir une culture française si vive, pluraliste, irrévérencieuse. Il y a des films que j’aime et des films que je n’aime pas. Il y a des films qui parfois attaquent même ce que vous faites. C’est génial. C’est la force d’un pays. »

Sur l’impact des JO de Paris

La parenthèse enchantée refermée, Emmanuel Macron estime que l’organisation des JO aura un impact économique « à court et moyen terme » pour la France. « Notre pays a su accueillir le monde dans des conditions de sécurité parfaites, partageant sa culture, son patrimoine et son art de vivre, ainsi que son esprit festif. Nous avons pu le faire avec l’audace qui nous caractérise. C’est la meilleure image que nous pourrions projeter de notre pays. »

Revenant sur ses moments préférés, il cite les deux médailles de Léon Marchand « en l’espace de deux heures le même jour« , la médaille d’or de judo en équipe avec la victoire finale de Teddy Riner. Mais aussi la cérémonie d’ouverture avec les performances de Céline Dion et de Lady Gaga. A-t-il un conseil pour les organisateurs des Jeux de Los Angeles en 2028 ? « Oscar Wilde disait « Soyez-vous même, les autres sont déjà pris« , lâche le président. « Faites vos propres Jeux Olympiques. N’essayez pas de copier. Soyez créatif, en phase avec votre identité, votre histoire, même vos paradoxes. »

Sur le mouvement #MeToo

Sept ans après l’affaire Weinstein, le cinéma français semble enfin donner la parole aux victimes de violences sexuelles et sexistes, à l’image des affaires Judith Godrèche et Gérard Depardieu. « Je suis pour la lutte contre la violence faite aux femmes, et c’est un combat universel« , assure-t-il. « Cependant, je crois à la présomption d’innocence. Par la suite, lorsqu’il s’agit de règles professionnelles, c’est à la profession de les définir« , ajoute-t-il à propos de la décision des César d’écarter les auteurs d’abus sexuels des futures nominations.

« Il faut toujours trouver les bonnes règles pour s’assurer que les victimes sont respectées, que leurs propos sont pris en compte, que justice soit faite et par-dessus tout s’assurer que tout le monde soit protégé à l’avenir« , continue le président français. « Mais nous ne pouvons pas tomber dans un système de dénonciation où tout le monde est mis de côté sans avoir la chance de prouver son innocence ou d’avoir l’occasion de répondre aux accusations. »

Sur l’intelligence artificielle

Le chef de l’État donne son avis sur les enjeux de l’intelligence artificielle, un enjeu majeur pour l’Union européenne. « Elle va révolutionner de nombreux secteurs, de la santé à l’énergie, pour le meilleur ou pour le pire« , juge-t-il. « Il y a une course à l’innovation, donc nous devons en faire partie. Il faut continuer à former et à retenir les talents, investir davantage de fonds publics et privés — c’est l’une de mes batailles européennes — et produire plus de centres de données, car c’est un élément clé. »

D’après lui, la question de la régulation des producteurs de contenu dans ce secteur est indispensable, notamment pour contrer la désinformation et la propagation des fake news. « Il va falloir définir les règles pour savoir ce qui est vrai et ce qui est faux« , insiste-t-il. « Comment savoir avec certitude qu’il s’agit d’une vraie vidéo ? Que ce n’est pas une vidéo de l’IA déformant une image qu’elle a récupérée de nous deux assis ici, par exemple ? ».

Sur l’élection américaine

Emmanuel Macron avoue avoir été « surpris » par la décision de Joe Biden de renoncer à la course à la Maison-Blanche, quelques semaines après sa visite en France. « Je pense que c’était un choix personnel, mais j’ai beaucoup de respect parce que c’est toujours un choix très difficile. Je le respecte et je respecte ce qu’il a décidé parce qu’il l’a fait pour son pays« , assure-t-il.

Évoquant la possibilité que Kamala Harris devienne la première femme présidente des États-Unis, le chef de l’État français s’exprime avec mesure. « Les États-Unis sont une grande démocratie, ils sont donc prêts à innover et à aller de l’avant. Je dois dire qu’il n’est pas très novateur d’élire une femme. Elles représentent la moitié de l’humanité et la moitié du pays. Même chose de notre côté. Alors oui, bien sûr !« .

Sur « Emily in Paris »

Impossible de couper à une question sur la participation de son épouse Brigitte à un épisode de la série Emily in Paris , dévoilé à la fin de l’été par Netflix. « Je suis très fière et elle était très heureuse de le faire« , affirme-t-il. « Je pense que c’est bon pour l’image de la France. « Emily in Paris est super positif en termes d’attractivité pour le pays. Pour ma propre entreprise, c’est une très bonne initiative. » Les producteurs lui ont-ils proposé d’en faire autant ? « Je suis moins attirant que Brigitte« , s’amuse-t-il.

Interrogé sur la possibilité de créer un Netflix à l’échelle européenne, Emmanuel Macron estime que « rien n’est désespéré« , tout en reconnaissant que les plateformes américaines « ont du pouvoir parce qu’elles agrègent du contenu, si bien qu’elles deviennent des passerelles« . Pour lui, le principal atout de la France réside dans la production de contenus. « Nous avons de grands acteurs, de grands scénaristes, de grands réalisateurs (…) Nous voulons juste que notre imagination parvienne à s’exprimer et s’exporter« .


Jérôme VERMELIN

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