mercredi, mai 22

A six semaines des élections européennes, de nombreux sondages anticipent une nouvelle progression de partis d’extrême droite plus nombreux et plus puissants au sein de l’Union qu’il y a cinq ans.

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Mais qu’ont ces partis en commun ? Pour Cas Mudde, professeur d’affaires internationales à l’université de Géorgie (Etats-Unis), c’est le nativisme. Cette théorie qui classe les citoyens d’une nation par ordre d’arrivée et de « pureté » (ethnique, religieuse ou culturelle) « reste l’élément idéologique-clé de ces partis ». Ils se retrouvent dans le rejet de l’immigration et la défense de la famille traditionnelle. Contre le « wokisme », il s’agira de protéger des valeurs mais aussi un mode de vie – « le “climat” est de plus en plus intégré à la rhétorique d’extrême droite, dans une approche populiste », pointe le spécialiste.

Nous avons repris les grandes lignes des programmes des principaux partis d’extrême droite pour comprendre quelles sont les thématiques sur lesquelles ils comptent faire bouger les lignes à Bruxelles, mais aussi ce qui les divise.

L’immigration, thème fondateur

Sans surprise, l’extrême droite européenne a pour priorité de renforcer les frontières extérieures de l’Union européenne (UE) pour barrer la route aux migrants. Les eurodéputés de ces formations se sont d’ailleurs abstenus ou ont voté, en avril, contre le pacte migratoire qu’ils considéraient comme trop laxiste.

A l’initiative des pays où l’extrême droite est au pouvoir, l’Europe se barricade toujours plus : le Hongrois Viktor Orban a fait ériger, face à la Serbie, une double clôture de 175 kilomètres de long. En Méditerranée, l’Italie fait tout pour restreindre les activités des associations de sauvetage en multipliant les procédures judiciaires et en leur refusant de débarquer, séquestrant les migrants en pleine mer. Ils soutiennent, à l’unisson des autres partis d’extrême droite, la nécessité pour Frontex de se recentrer sur sa mission d’agence de protection des frontières de l’Europe plutôt que d’aide aux migrants.

Les formations d’extrême droite de plusieurs Etats membres souhaitent également fermer les frontières intérieures durablement, ce qu’interdisent les accords de libre circulation de Schengen. Il est toutefois possible d’y déroger temporairement : au début de 2024, près de la moitié des pays de l’UE avaient rétabli des contrôles, invoquant la menace terroriste ou la pression migratoire.

Une autre de leurs pistes pour limiter l’immigration consiste à « externaliser » les demandeurs d’asile arrivés en Europe vers des pays tiers – point sur lequel l’extrême droite a été rejointe par le programme de la droite européenne (et même par les sociaux-démocrates au Danemark). En novembre, le gouvernement de Giorgia Meloni, très engagé dans cette voie, a conclu avec l’Albanie un accord pour l’installation de deux centres de rétention de droit italien en territoire albanais. Encore plus radical, la formation d’Eric Zemmour, Reconquête !, assume être favorable à l’idée, présentée par l’idéologue d’ultradroite autrichien Martin Sellner à Alternative für Deutschland (AfD, en Allemagne) et au Freiheitliche Partei Österreichs (FPÖ, en Autriche) d’un plan de « remigration » consistant à renvoyer les citoyens « non assimilés » dans leur pays d’origine.

Le « wokisme », nouveau cheval de bataille

Un épouvantail presque aussi effrayant que la théorie complotiste et raciste du « grand remplacement » des populations européennes par une immigration « incontrôlée » est apparu ces dernières années dans le discours d’extrême droite : le wokisme. Il y a un an, nombre de partis d’extrême droite européens se sont réunis à Budapest pour dénoncer ce « virus progressiste » et la lutte pour la défense des minorités et du libre choix d’orientation sexuelle.

Le Monde

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Depuis une dizaine d’années, les offensives contre les droits des personnes homosexuelles, bisexuelles, transgenres, intersexes et queer se sont multipliées dans toute l’Europe. Depuis les pays baltes jusqu’à la Croatie, en passant par la Pologne, la Bulgarie, la Roumanie, des alliances anti-LGBT + se sont créées entre conservateurs et organisations d’extrême droite. L’association Queer Your EU a calculé que sur les textes-clés, comme la résolution pour les droits des personnes LGBT + (2021) ou contre les discours haineux (2022), les deux groupes ayant voté le plus contre sont de très loin les Conservateurs et réformistes européens (CRE) et Identité et démocratie (ID), qui réunissent l’essentiel des eurodéputés d’extrême droite.

Certains points combattus par ces partis se décident au niveau national – comme le changement de genre auprès de l’état civil, par exemple. Mais d’autres peuvent être abordés au Parlement européen, comme la reconnaissance des droits de filiation, cruciale pour les familles homoparentales, dont les droits ne sont pas identiques d’un pays membre à l’autre, et qui est refusée par les eurodéputés d’extrême droite.

« Détricoter » le pacte vert

Les crises économique et énergétique occupent une place centrale dans les prises de parole des dirigeants d’extrême droite, qui pointent du doigt les coûts financiers et les contraintes excessives liées à la transition écologique.

Au niveau européen, la cible de leurs critiques est le pacte vert européen, feuille de route visant à atteindre la neutralité carbone en 2050. « Tout va être détricoté », à l’issue des élections de juin, assure un conseiller du Rassemblement national à Politico, comme le promettent aussi de nombreux candidats d’extrême droite. Le Vlaams Belang belge a ainsi soumis en février une résolution au Parlement européen pour « abolir le pacte vert », dénonçant un « fanatisme climatique ».

La colère des agriculteurs au début de l’année a également été instrumentalisée par les formations d’extrême droite, qui prônent la dérégulation. « Vive les agriculteurs, dont les tracteurs forcent l’Europe à revenir sur les folies imposées par les multinationales et la gauche », a salué Matteo Salvini, le chef de la Ligue et vice-président du conseil des ministres italien, après le recul de la Commission sur les régulations des pesticides.

Outre les agriculteurs, ce sont aussi les automobilistes et les consommateurs d’énergie qu’il faut « sauver ». En Allemagne, l’AfD a profité des inquiétudes suscitées dans l’opinion par la loi « chauffage » pour se présenter comme le garant de la « liberté » face à la « dictature du climat » et compte s’opposer au volet sur la rénovation énergétique du pacte vert. Le parti est également opposé à toute interdiction des voitures à moteur thermique.

En Pologne, c’est un véritable un programme « antidécroissant » que brandit l’alliance Konfederacja pour chaque ménage avec son slogan : « Une maison, un barbecue, du gazon, deux voitures et des vacances ».

Divergences profondes sur l’Ukraine

Mathématiquement, une coalition des députés d’extrême droite, de démocrates chrétiens et de conservateurs pourrait obtenir une majorité à Bruxelles à l’issue des élections de juin. Toutefois, une telle hypothèse paraît peu réaliste tant sont profondes les divergences entre les partis d’extrême droite européens.

En particulier, ils sont profondément divisés sur le conflit entre la Russie et l’Ukraine. La russophilie du parti hongrois Fidesz (qui n’appartient plus à aucun groupe européen) et celle, plus discrète, du Rassemblement national (qui fait partie d’ID) s’opposent à l’atlantisme de partis tels que Frères d’Italie, appartenant aux CRE et plus proche idéologiquement de la droite conservatrice.

Au-delà des idées, il est surtout question de stratégie politique : il y a une véritable « détestation entre les groupes ECR et ID, explique Catherine Fieschi, spécialiste des extrémismes au cabinet de conseil Counterpoint. Matteo Salvini et Marine Le Pen font tout pour décrédibiliser Giorgia Meloni. Le fossé qui existait entre les deux groupes n’a cessé de se creuser. »

Lors de la prochaine mandature, anticipe la politologue, « ce qui risque d’arriver, ce sont des alliances ad hoc comme nous l’avons vu en juillet autour de la loi sur la biodiversité », qui a été accusée, à tort, d’imposer des contraintes insupportables aux secteurs agricoles, forestiers et de la pêche. Après avoir été à nouveau bloquée par une fronde de gouvernements d’extrême droite, l’adoption de ce texte a été reportée, et les associations s’inquiètent : en juillet, la Hongrie de Viktor Orban prend la tête de la présidence tournante de l’Union.

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