« #ZaKoa », une si longue lettre sur les violences sexuelles à Madagascar

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« Malgré la réticence que je ressens dans tout mon être, je vais te l’écrire, cette lettre. Je me promets de la finir même si cela exige de déterrer des douleurs… » C’est sous la forme d’une longue missive que l’autrice malgache Hary Rabary a choisi de traiter le sujet de #ZaKoa, son premier roman, nouvellement paru aux éditions Dodo vole. Une femme y retrace son existence, marquée par des agressions sexuelles, et adresse ce bilan aussi terrible qu’intime à l’homme qui en est le principal responsable.

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Issue des classes sociales les plus pauvres de sa ville et en l’absence de tout soutien familial ou financier, Rota, la narratrice, a misé dès l’enfance sur la réussite scolaire pour se frayer un chemin dans la vie. Tombée amoureuse au collège d’un garçon de milieu aisé, elle se sent portée par la force de cette relation qu’elle croit réciproque, si bien qu’elle rêve naïvement d’allier un avenir professionnel dans le monde médical à une vie passée au côté de son bien-aimé. Elle déchante quand ce dernier déménage dans la capitale, mais reprend espoir lorsque, devenue étudiante, elle le retrouve enfin à l’université. Elle se donne alors à lui corps et âme, en toute innocence. Hélas, une désillusion cruelle guette Rota, qui finit par découvrir sous les traits affables du garçon la réalité d’un prédateur sexuel de la pire espèce…

L’émotion est sans nul doute ce qui sous-tend l’ensemble de ce roman et qui saisit d’abord à sa lecture. Une émotion née du contraste entre la réalité brûlante des violences rapportées par la narratrice et l’écriture fluide, le ton posé jusqu’à la froideur qu’elle emploie parfois lorsqu’elle entre dans des détails d’une précision quasi clinique. Une émotion liée également à la structure du livre, car Hary Rabary a l’habileté de présenter la rédaction de la lettre de Rota comme produite d’un seul jet, au cours d’une seule et même nuit.

Entre pudeur et urgence

Les différents moments de la vie de son héroïne correspondent aux chapitres du livre, annoncés par une indication horaire qui accentue cette impression. On suit ainsi le cheminement anxieux de la jeune femme, ballottée entre la pudeur et l’urgence d’exprimer une vérité trop longtemps retenue. Mais la tension émotionnelle naît bien sûr principalement du sujet abordé : ces violences faites aux femmes que le mouvement #metoo, démarré en 2017, a permis d’aborder enfin au grand jour en donnant la parole à des milliers de victimes jusque-là minorées.

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Avec son titre, #ZaKoa, traduction littérale de « moi aussi » en malagasy, Hary Rabary s’inscrit dans la même démarche et ose ouvrir une voie rarement – si ce n’est jamais – explorée dans la littérature malgache. « Je n’ai pas compris que j’allais faire partie du lot de viande à partager avec ta horde de chiens affamés. J’étais loin de me douter de la tournure que les événements allaient prendre. Tu disais que tu m’aimais. Mais tu m’as jetée en pâture à tes amis. Ils étaient… Je ne sais pas combien ils étaient. Ils se sont jetés sur moi. »

L’autrice, âgée de 40 ans, a longuement pris le temps de réfléchir à son sujet. Elle en avait déjà l’idée il y a une vingtaine d’années, soit bien avant #metoo, alors qu’elle était étudiante en médecine. Les campus universitaires de Madagascar étaient déjà connus pour être le théâtre de dérives sexuelles criminelles et d’abus imposés par certains enseignants, mais ces réalités demeuraient étouffées. Comme dans le roman, les victimes subissaient la quadruple violence de l’agression physique, de la honte, de l’opprobre familial et social, et de l’injustice de voir leurs agresseurs demeurer impunis.

La force de l’écriture

Aujourd’hui gynécologue à l’hôpital de Diego-Suarez, Hary Rabary a hélas l’occasion de rencontrer de nouvelles victimes de ces agissements. Leurs témoignages et sa pratique ont d’ailleurs nourri le livre, dont elle a choisi de faire non un récit ou une autofiction, mais bien un roman, donnant ainsi une portée différente à son propos. Car il ne s’agit point là de montrer du doigt des agresseurs précis, mais plutôt d’éclairer des zones d’ombre de la société malgache, obscurcies par un silence coupable.

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A ce titre, il est frappant que dans le roman, Rota ne songe à aucun moment à recourir à la justice, préférant l’écriture à l’oralisation. Mais de cette écriture, elle s’empare comme d’une force qui lui permet, au-delà de l’évocation du passé, de dire également un présent fait de résilience et d’espoir. « Je plaide. Je plaide non coupable pour quitter le banc des accusés où tu m’as acculée depuis tant d’années. Je le fais, car je suis profondément convaincue de mon innocence. »

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Avec #ZaKoa, Hary Rabary investit quant à elle la littérature de toute son importance. Accessible aux lecteurs les plus divers, son roman interpelle les responsables, redonne dignité aux victimes et interroge sur les suites à donner. Une parole nécessaire et pour le moins salutaire dans une société où ce type de sujet demeure tabou.

#ZaKoa, de Hary Rabary, éd. Dodo vole, 146 pages, 12 euros.

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