« Un album d’Auschwitz » : échapper au regard des bourreaux

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« Un album d’Auschwitz. Comment les nazis ont photographié leurs crimes » (Die fotografische Inszenierung des Verbrechens. Ein Album aus Auschwitz), de Tal Bruttmann, Stefan Hördler et Christoph Kreutzmüller, traduit de l’allemand par Olivier Mannoni, préface de Serge Klarsfeld, Seuil, « L’univers historique », 304 p., 49 €.

En avril 1945, dans une ancienne caserne SS près du camp de ­Mittelbau-Dora, Lili Jacob, jeune juive rescapée en convalescence, ouvre une armoire à la recherche d’un vêtement et y trouve un album de 197 photographies prises par les nazis lors de la déportation de centaines de milliers de juifs hongrois dans le camp de concen­tration et centre de mise à mort d’Auschwitz-Birkenau. Elle y reconnaît des membres de sa famille et des habitants de sa ville natale, tous assassinés.

Impressionnant regroupement de sources

Cet « Album d’Auschwitz » est un document visuel unique sur les procédures de sélection des déportés, entre ceux qui étaient aussitôt conduits vers les chambres à gaz et ceux qui étaient voués au travail forcé. Il a été utilisé lors de procès et a été l’objet de nombreuses publications, reprises et analyses – certaines de ces photos sont devenues célèbres. Manquait cependant un travail d’exégèse des buts et des conditions de réalisation de ces images. C’est ce vide qu’Un album d’Au­sch­witz, de Tal Bruttmann, Stefan Hördler et Christoph Kreutzmüller, trois éminents historiens spécialistes de la Shoah et du nazisme – un Français et deux Allemands –, vient combler, grâce à un impressionnant regroupement de sources.

En apposant un article indéfini au titre de l’album, ils entendent ne pas essentialiser leur objet. La plupart des convois ­arrivant de nuit, ces images, nécessairement diurnes pour des raisons techniques, montrent des situations inhabituelles. Et, de fait, ils parviennent à les aborder sans jamais se placer dans le regard qui les a conçues – celui des bourreaux. Il est significatif et particulièrement émouvant que le livre s’ouvre sur les détails de quatre photographies dans lesquelles des enfants tirent la langue au photographe à son insu.

Plus que d’un texte continu, l’ouvrage est constitué d’articles aux styles différents : un livre somme de référence, aux multiples entrées. La première partie situe utilement et avec précision le ­contexte de ces images : la genèse de l’album, l’histoire de sa découverte, celle de Lili Jacob et de sa famille, le fonctionnement du camp au moment des prises de vue, les conditions de la déportation des juifs hongrois, comme les biographies des deux photographes nazis, Bernhard Walter et Ernst Hoffmann.

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