Trois livres de poche conseillés par François Angelier : Laurence Benaïm, Varian Fry, Marina Tsvetaeva

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« Marie Laure de Noailles. La vicomtesse du bizarre », de Laurence Benaïm, Texto, 480 p., 12 €.

« Livrer sur demande », de Varian Fry, préface d’Albert Hirschman, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Edith Ochs, J’ai lu, 380 p., 8,90 €.

« Après la Russie », de Marina Tsvétaïéva, traduit du russe, préface et notes de Bernard Kreise, Rivages poche, « Petite bibliothèque », 160 p., 8,70 €.

Si elle ne devint « vicomtesse » qu’en 1923, par son mariage avec son double stellaire, le trépidant vicomte Charles de Noailles (1891-1981), esthète fastueux, sportif intempérant et paysagiste méticuleux, « bizarre », Marie Laure de Noailles (1902-1970) l’était de naissance : confluaient en elle, par sa grand-mère Chevigné et son père, les sangs des Sade et des Bischoffsheim, ceux de l’interné de Charenton (dont elle posséda le manuscrit des 120 Journées de Sodome) et d’une dynastie de banquiers belges milliardaires, enclins au mécénat scientifique ou à la bringue somptuaire.

De ce détonant cocktail héréditaire découle une vie dont les hauts faits coïncident avec l’histoire de l’art du XXe siècle : conception et construction, à Hyères, de la villa Mallet-Stevens, sanctuaire cubique ; production et propulsion, dans la mare du conformisme bourgeois, de trois pavés cinématographiques : Les Mystères du château de Dé (Man Ray, 1929), L’Age d’or (Luis Buñuel, 1930) et Le Sang d’un poète (Jean Cocteau, 1930) ; ­semailles financières pour que la création germe, élitaire et populaire, d’Igor Stravinsky à Salvatore Adamo (en qui elle voyait « le Chopin de notre temps »), du décorateur Jean-Michel Frank à l’acteur et cinéaste Pierre Clémenti. Une frénésie que la biographie de Laurence Benaïm rend avec intensité, laissant de la vicomtesse de Noailles l’image d’une Vierge de charité prenant sous un manteau taillé par Chanel Crevel, Picasso ou Cocteau.

Sous l’Occupation, le rôle de l’Américain Varian Fry (1907-1967), journaliste et futur Juste parmi les nations, se définit ainsi : faire en sorte que les amis et admirateurs de Marie Laure de Noailles, casernée dans Paris, ne soient pas assassinés par les nazis. Militant antihitlérien précoce, installé à Marseille en août 1940, il crée, avec le Centre américain de secours, association d’aide aux réfugiés reconnue par Vichy, une planche de salut qui servit au sauvetage et à l’exil de près de 2 200 personnes.

Derrière le paravent humanitaire se mit en place, jusqu’à l’expulsion de Fry en août 1941, un réseau de passages clandestins et de confection de faux papiers, visas truqués ou formulaires de complaisance. Si beaucoup en profitèrent dont on n’a pas retenu le nom, une kyrielle de célébrités sauvées de justesse assura a posteriori la célébrité de leur sauveur. La liste ressemble à un plan de table à un dîner Noailles – André Breton et Marc Chagall, Marcel Duchamp et Stéphane Hessel, Max Ophüls ou André Masson. Un sacerdoce héroïque dont Livrer sur demande, écrit par Fry lui-même, nous offre les contraintes quotidiennes, les improvisations nécessaires et les paris risqués. Des merveilles d’astuce et de courage que rendirent possibles une escouade d’audacieux – mafieux local, gigolo américain, fonctionnaire français.

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