« Trenque Lauquen » : une petite ville pleine d’histoires

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L’AVIS DU « MONDE » − CHEF-D’ŒUVRE

Il est en train de s’inventer quelque chose du côté de Buenos Aires qui pourrait bien changer le visage du cinéma d’auteur mondial, confronté un peu partout à la même baisse tendancielle de ses financements. Cette bonne nouvelle s’appelle El Pampero Cine, un collectif de cinéastes amis, actif depuis 2002, qui, en mutualisant la fabrique des films (une vingtaine en vingt ans), est parvenu à faire chuter les coûts de production, et ainsi à se prémunir de toute dépendance aux guichets usuels, industriels ou étatiques.

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Ici, la décroissance économique s’est traduite par un déchaînement sans précédent des énergies artistiques, dont l’exubérant La Flor de Mariano Llinas, tourbillon narratif en six épisodes et 814 minutes, sorti en mars 2019, fournissait la preuve ultime. Le goût des histoires, la façon de les raconter, leurs détours labyrinthiques et la propension à s’y perdre, comme à s’y retrouver, constituent l’obsession commune des cinéastes associés, perpétuant une tradition littéraire d’œuvres-mondes telles Les Mille et Une Nuits, Le Manuscrit trouvé à Saragosse de Jan Potocki ou, plus localement, les Fictions borgésiennes.

En atteste une nouvelle fois Trenque Lauquen, deuxième percée du collectif sur les écrans français, deuxième long-métrage solo de sa cofondatrice, Laura Citarella (outre deux coréalisations), film en deux parties (de plus de deux heures chacune) et 12 chapitres, d’un foisonnement romanesque inouï. Sous ce titre énigmatique, à dire comme une formule magique, se cache une petite localité de la province portègne, à 445 kilomètres à l’ouest de la capitale, genre de bourg tranquille et sans caractère, dont le nom en langue mapuche désigne le « lac rond » qui orne son périmètre, et qui tiendra lieu, précisément, de réservoir à fiction, potentiellement inépuisable.

Récits enchâssés

Le postulat est simple : une femme a disparu (comme dans L’Avventura de Michelangelo Antonioni – 1960 –, influence majeure), et c’est autour de son absence que le film tisse sa toile, reconvoquant celle-ci par voie de souvenirs et de récits enchâssés, de traces enregistrées et d’aveux concédés. Laura (l’actrice Laura Paredes, déjà vue dans La Flor, ici coautrice du scénario et réincarnation d’une autre illustre absente, la Laura d’Otto Preminger), chercheuse en botanique, autrice d’une chronique radio hebdomadaire, manque à l’appel, et deux hommes suivent sa piste.

L’un, Rafa (Rafael Spregelburd), son partenaire officiel, nanti, avec lequel elle devait acheter une maison. L’autre, Ezequiel (Ezequiel Pierri), employé de mairie aux faux airs de Droopy rouquin, son confident devenu son amoureux secret. Tournoyant dans le secteur, confrontant leurs récits à ceux des habitants, ils s’emploient à reconstituer les derniers jours de Laura. Mais un récit peut en cacher d’autres, dessinant une suite gigogne où les traces de la volatilisée se dissipent, se brouillent.

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