Parmi les peintres de son temps, Suzanne Valadon (1865-1938) est une exception. L’artiste fait l’objet d’une exposition au Centre Pompidou-Metz, après une précédente à la Fondation Barnes, à Philadelphie, aux Etats-Unis, en 2022, qui avait pour sous-titre « Model, Painter, Rebel » (« Modèle, peintre, rebelle »). C’était une bonne manière de caractériser l’artiste, plus explicite qu’« Un monde à soi », allusion à Virginia Woolf, du sous-titre messin.
Car Suzanne Valadon a entre autres singularités celle d’être entrée dans le monde de l’art non comme une autodidacte ou une élève des Beaux-Arts, mais comme modèle. Née Marie-Clémentine, de père inconnu, près de Limoges, elle vient à Montmartre très jeune, avec sa mère, lingère. Au début des années 1880, après divers petits emplois, elle se produit brièvement dans un cirque comme trapéziste, puis, s’étant blessée, devient modèle.
Sa beauté et son endurance à tenir la pose font sa première notoriété. Elle se fait alors appeler Maria. Pierre Puvis de Chavannes est l’un de ses employeurs les plus réguliers, pour les figures masculines de ses compositions monumentales autant que pour les féminines. Des académiques, tel Jean-Jacques Henner, modèlent leurs nymphes d’après son anatomie. Simultanément, à partir de 1882, elle pose pour des modernes, dont Auguste Renoir, Théophile Steinlen et Henri de Toulouse-Lautrec. Celui-ci, son amant de 1884 à 1888, la renomme Suzanne, parce que, comme la Suzanne biblique, elle se montre nue devant des vieillards. C’est aussi le moment où elle a un fils, Maurice, né en 1883, de sa liaison avec le journaliste espagnol Miquel Utrillo (1862-1934).
Reconnue par Degas
Elle commence alors à dessiner, puis à peindre : tout en posant, elle observe, apprend et s’essaie ensuite au nu et au portrait. Pour sa formation artistique, elle regarde Puvis, Renoir et Lautrec, dont les styles sont pour le moins différents. Mais cet apprentissage ne suffit pas à expliquer la netteté de sa ligne, qui définit la figure en longs traits continus, ni sa manière de supprimer ou de réduire à très peu ce qui est accessoire – objets ou meubles. Sa maîtrise est bientôt reconnue par Degas, un homme fameux pour son mauvais caractère, sa misogynie et la sévérité de ses jugements.
Dans la seconde moitié des années 1890, ils se voient souvent et le peintre, l’adoptant pour ainsi dire comme son unique élève, l’aide alors à se perfectionner dans le domaine de la gravure. De moins en moins modèle, de plus en plus artiste, elle a un temps pour amant Erik Satie, qui se désespère quand elle le quitte. Elle épouse en 1896 un fondé de pouvoir fortuné : elle peut désormais peindre sans relâche. Elle ne cesse plus jusqu’à sa mort, en dépit des accidents familiaux de sa vie privée, dont l’alcoolisme chronique de son fils, Maurice Utrillo.
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