EXPOSITION
Pour qui ne connaît pas Pascale Marthine Tayou, plasticien camerounais qui vit à Gand (Belgique), l’exposition « Petits riens » est une parfaite initiation à son œuvre. On trouve ainsi réunis à la Collection Lambert, à Avignon, la plupart des éléments de son vocabulaire, des plus pauvres – sacs et bouteilles en plastique, câbles électriques et branchages – aux plus élaborés – ses bustes de verre polychromes qui actualisent la statuaire africaine ancienne par le changement de matériau et les accessoires dont il environne ces « poupées ».
On y trouve aussi des tableaux en canne séchée dans lesquels il insère de petites statues d’Européens à casque blanc et uniforme militaire, ce que l’on appelle « art colon », et ces mêmes figures éditées en verre et fixées au mur comme des crucifix. Des tôles aux couleurs tendres volent sous le plafond au-dessus d’une cité dont les maisons ont, en guise de murs et de toits, des tissus chamarrés.
Etant donné la dextérité dont Tayou fait preuve dans l’art d’occuper les espaces – quelles que soient leurs dimensions et leurs lumières – et de ménager des surprises, on pourrait croire qu’il n’a cherché qu’à donner du plaisir, en grand virtuose de l’installation. Mais – et c’est là une autre de ses caractéristiques, la plus importante sans doute – il serait léger de s’en tenir à cette impression, car Tayou ne séduit que pour mieux piquer. Quelques indices préviennent vite que ces jeux ont une raison d’être et que la gaieté n’est qu’apparente.
Images invisibles
Des tronçons de chaîne semblent avoir été abandonnés un peu partout sur le sol. Leurs coupures ont beau être peintes en jaune ou vert vifs, ce n’en sont pas moins des chaînes, qui font penser à celles des navires négriers. D’autant plus qu’elles gisent au pied des statues colons et près d’une mappemonde où les continents, découpés dans un fer aussi lourd et sombre qu’elles, s’écartent les uns des autres : l’Afrique est ainsi au centre, mais séparée du reste du monde.
Dans la dernière salle, l’artiste trace au fusain, sur les murs, les dates d’une chronologie mondiale qui commence par le partage de l’Afrique lors de la conférence de Berlin (1884-1885) et se poursuit, de guerres en congrès, jusqu’à aujourd’hui. Ce rappel historique répond aux paroles qui sortent d’écrans vidéo que l’artiste a voulus tournés contre les murs, de sorte que les images sont invisibles.
Mais ce que l’on entend suffit : un montage de déclarations politiques des années 1960 et 1970 qui célèbrent, par exemple, l’amitié indéfectible des « Africains » pour la France et leur reconnaissance. L’exposition rejoint ainsi l’actualité, et l’on comprend pourquoi Tayou écrit dans le texte d’introduction à la visite : « Les “Petits riens”, c’est mon appel d’urgence face aux terreurs multiples qui me tordent les boyaux. »
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