« Son odeur après la pluie », de Cédric Sapin-Defour, préface de Jean-Claude Dubois, Stock, 288 p., 20,90 €, numérique 15 €.
Le jour où le narrateur de Son odeur après la pluie, le premier roman de Cédric Sapin-Defour, adopte un bouvier bernois, sa vie bascule – elle descend de plusieurs étages, reconfigurant son champ de vision. Ce chien « au nom de versant », Ubac, devient le « bêtabloquant de la famille », repousse les contours, ouvre l’horizon, transforme les jours en promenade. Enseignant et voyageur, l’écrivain, qui vit une partie de l’année en itinérance, a beaucoup écrit sur la montagne et l’alpinisme. Chroniqueur des hauteurs, il inverse ici le sens de son regard pour le placer en rase-mottes, dans une langue vibrante, extrêmement ciselée. Une syntaxe classique de moraliste au cœur bouillant, qui heurte magnifiquement la phrase et sa structure, restituant cette émotion tonitruante : une vie qui fait irruption dans la nôtre et lui devient indispensable.
Fils puis frère, bientôt père
Très vite, l’animal multiplie les natures et les fonctions. Il devient, pour celui qui se refuse à être son maître, un adoré compagnon au long cours. C’est un « antigel » – personne ne lui résiste, il dénoue toutes les tensions ; un « émondeur » – à son contact, tout s’épure, le narrateur fait le tri dans ses fréquentations et affine sa philosophie de vie ; une « nivelle » – le narrateur sait, en lisant dans les yeux de son chien, s’il est « à l’équilibre ou s’il penche ». Ubac est, aussi, un « métronome » – puisque les chiens vieillissent sept fois plus vite que les humains, le héros fête l’anniversaire du sien « douze fois trop souvent ». Grandissant, Ubac, recueilli à peine né, devient vite plus vieux que celui qui l’a adopté. De fils d’élection, il se transforme en frère, bientôt en père.
La très grande beauté de ce roman d’amour d’un nouveau genre est de faire d’un sujet aussi universel, presque ténu et pourtant crucial – le lien sacré entre un homme et un animal –, une méditation si pénétrante, élévation métaphysique suprasensible. Ubac et son compagnon forment « un tout à huit pattes », une « dyade », chiasme existentiel fondé sur un équilibre réciproque : « Lorsque je marche, nous marchons. Lorsqu’il s’arrête, je m’arrête. » Bientôt, la famille – ou la meute – s’agrandit, accueillant en son sein Mathilde, le nouvel amour du narrateur, multipliant les combinaisons : « Ubac et moi, Mathilde et Ubac, Ubac, Mathilde et moi. »
Par la grâce de sa voix de passe-muraille, Cédric Sapin-Defour transforme la définition et la mathématique des règnes : amour, amitié, parentalité, filiation, êtres, animaux – tout dialogue et se métamorphose, transgressant les notions de verticalité et d’horizontalité, de propriété et d’autorité. Un roman en fusion, qui fait sa révolution, écrit non à hauteur d’homme mais en réalité augmentée, nouant l’humain à l’animal et à la nature tout entière – « il est elle ».
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