Sur son premier album, il esquisse à peine un sourire et porte une chemise sobre. Pour son deuxième opus, paru chez Decca, en 2022, Samuel Mariño apparaît comme transfiguré : il rit aux éclats et porte une tenue extravagante (un manteau en tulle blanc transparent tombant sur d’imposants talons). « Quand je chante, je viens déranger ce petit monde de gens blancs, qui se ressemblent. Alors quoi, parce que je suis un homme, je devrais chanter grave et porter des pantalons ? », s’amuse-t-il depuis son pied-à-terre près du parc des Buttes-Chaumont, dans le 19e arrondissement de Paris, où il partage son temps avec Berlin.
A 29 ans, le chanteur lyrique vénézuélien achèvera une série de trois concerts en France le lundi 20 mars, avec un récital dans la galerie des Glaces du château de Versailles, accompagné de l’orchestre de l’Opéra royal. A l’image du style baroque qu’il a beaucoup interprété, Samuel Mariño décontenance. Il le sait et en joue. Par sa voix aiguë et son style vestimentaire empruntant à toutes les garde-robes, l’artiste s’affranchit des normes du chant et du genre. Il porte un discours politique assumé dans un monde de la musique classique encore très convenu, affichant sur scène son identité d’homme queer et célébrant sans détour son homosexualité sur son compte Instagram.
Samuel Mariño arbore avec fierté « son instrument », une voix de soprano, un cas de figure rarissime chez un homme depuis la mort du dernier castrat, l’Italien Alessandro Moreschi, en 1922. « Ces stars très demandées voyageaient de cour en cour à la fin du XVIIe siècle et au XVIIIe siècle. Après 1830, les castrats ne chantent plus que dans les églises italiennes, pour ne subsister in fine qu’à la chapelle Sixtine », retrace Yseult Martinez, docteure en histoire moderne, spécialiste des castrats à l’université d’Angers. Contrairement aux contre-ténors, dont la tessiture de ténor nécessite de basculer en voix de tête pour grimper, la voix naturelle de Samuel Mariño est, d’entrée, très aiguë.
Piano et chorale comme refuges
Le chemin de l’acceptation fut pourtant long. A 13 ans, le jeune Samuel, collégien dans un établissement catholique de Caracas, subit des moqueries aux relents homophobes sur son timbre haut perché. Victime de harcèlement psychologique et physique, en classe et sur les réseaux, il fuit le système scolaire et se réfugie dans le piano et la chorale. « J’ai eu des pensées suicidaires », confesse-t-il. Un médecin, puis un second lui proposent de l’opérer du larynx pour rendre sa voix plus grave. Un troisième lui suggère plutôt d’accepter sa voix et d’écouter du chant lyrique. Dans sa playlist d’alors, les divas Beyoncé et Lady Gaga croisent Cecilia Bartoli et Philippe Jaroussky, superstars du chant lyrique.
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