« Saint Omer », sur Canal+ Cinéma : procès d’une mère infanticide, entre distance et proximité

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CANAL+ CINÉMA – MARDI 5 SEPTEMBRE À 21 H 00 – FILM

Dans Saint Omer, il y a la mère, et la mer, à marée haute, devant laquelle une femme dépose sa fillette âgée de 15 mois, un soir d’automne, afin que les vagues l’emportent. L’accusée à la peau noire se retrouve dans le box de la cour d’assises de la petite ville du Pas-de-Calais. Une femme noire affronte les préjugés de Blancs déclassés. Et ce puissant tableau postcolonial nous regarde au fond des yeux.

Inspirée du procès de Fabienne Kabou – elle abandonna son enfant sur la plage de Berck-sur-Mer, le 19 novembre 2013, et fut condamnée en appel, en 2017, à quinze ans de réclusion criminelle –, Alice Diop s’attache à la personnalité complexe de l’héroïne, ici nommée Laurence Coly (Guslagie Malanda). Celle-ci est vue à travers les yeux d’une autre femme noire, Rama, romancière (Kayije Kagame) et alter ego de la cinéaste, venue assister au procès en vue de l’écriture de son deuxième roman. L’interprétation des deux comédiennes installe une atmosphère quasi fantastique dans ce film trempé d’angoisse.

Alice Diop fit elle-même le déplacement, en 2016, tant elle était perturbée par l’histoire de Fabienne Kabou. Avec l’accusée, originaire comme elle du Sénégal, elle ressentait un mélange confus de distance et de proximité. Toute la complexité de cette femme noire devait affleurer à l’écran, loin des clichés réducteurs.

Peindre le portrait d’une femme

Tout au long de cette affaire, la réalisatrice a été frappée par les non-dits autour de la couleur de la peau de la mère infanticide. Son langage érudit et son élocution en étonnaient plus d’un, comme un reste de racisme ordinaire. Puis le malaise grandit lorsque Fabienne Kabou se montra cassante et manipulatrice, assumant froidement son acte, glaçant les jurés.

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Dans Saint Omer, le portrait de l’accusée se trouve sensiblement adouci par rapport à celui de Fabienne Kabou. L’important ici n’est pas de « coller » au réel, mais de peindre le portrait d’une femme avec tout le soin et la démesure qu’apportaient les grands peintres à leurs modèles. Les références picturales d’Alice Diop vont de La Belle Ferronnière, de Léonard de Vinci, peint entre 1495 et 1497, à Grape Wine (1966), de l’Américain Andrew Wyeth, portrait d’un vagabond d’une extraordinaire modernité. Deux œuvres auxquelles font écho plusieurs plans rapprochés de l’accusée (ainsi que l’affiche du film).

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Il faut imaginer le film comme une photo de l’affaire Kabou, qu’Alice Diop aurait laissé tremper dans un bain, pour en révéler une autre texture, plus trouble et plus universelle. Sans doute est-ce pour cette raison que ce grand film politique, proche du thriller, a séduit le jury de la Mostra de Venise, où il fut doublement récompensé, en 2022, d’un Lion d’argent (Grand Prix du jury) et d’un Lion du futur pour un premier film, avant d’avoir le César du meilleur premier film en 2023.

Saint Omer d’Alice Diop. Avec Guslagie Malanda, Kayije Kagame, Valérie Dréville, Aurélia Petit, Robert Cantarella (Fr., 2022, 122 min).

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