Ce thème est l’un de ceux abordés lors de la 38e Comédie du livre – 10 jours en mai, le festival littéraire montpellierain (du 5 au 14 mai), dont « Le Monde des livres » est partenaire.
Dans Sodome et Gomorrhe (1921-1922), le narrateur d’A la recherche du temps perdu enrage. Lui qui, depuis l’enfance, était si attaché aux Mille et Une Nuits, lues et relues dans la traduction canonique d’Antoine Galland (1704-1717), voilà qu’on lui met dans les mains une version prétendument « moderne » où le titre se trouve « déformé dès la couverture », où les noms « immortellement familiers » de Shéhérazade et Dinarzade ont été changés en Dieu sait quoi d’« à peine reconnaissable ». On a trahi « ses » Nuits. Il ne décolère pas.
Retraduire les classiques : une tâche délicate mais qui fait pourtant recette ces temps-ci. Au point qu’on parle d’un boom des nouvelles traductions. Sur les tables des libraires, des Dante, des Homère entièrement « rénovés » ainsi qu’une foule de classiques modernes – Virginia Woolf, George Orwell, Mark Twain, Federico Garcia Lorca, Carlo Emilio Gadda, Arthur Koestler ou encore John Dos Passos, pour n’en citer que des récents – se disputent l’espace. « Allez, vite, il faut lire cette nouvelle traduction », ordonne un critique en couverture, comme si le lecteur allait enfin entendre le son véritable de toutes ces voix qu’il croyait à tort connaître.
Comment analyser cet essor des traductions nouvelles ? Sont-elles toutes nécessaires ? Ces questions seront débattues lors d’une rencontre de La Comédie du livre – 10 jours en mai, le festival littéraire qui se tient à Montpellier du 5 au 14 mai.
Fascinante histoire de métamorphoses que la retraduction des classiques. Car « retraduire, c’est prolonger le geste par lequel un livre “arrivé” dans une langue, culture d’accueil, se retrouve de nouveau en chemin », résume la traductrice du russe Luba Jurgenson. En soi, le phénomène n’est pas nouveau. S’il est impossible à dater, Bernard Banoun, qui a dirigé l’Histoire des traductions en langue française (avec Isabelle Poulin et Yves Chevrel, Verdier, 2012-2019), explique que « la première mention du verbe “retraduire” apparaît en 1556 dans une lettre de Charles Fontaine, le traducteur d’Ovide ». Depuis, l’exercice n’a cessé de faire des émules, la Bible détenant le record des retraductions, spécialement le Cantique des cantiques, dont 265 versions en français ont éclos depuis la Renaissance !
S’approcher du texte parfait
A quoi tient cette « pulsion de traduire », pour reprendre l’expression du linguiste Antoine Berman ? Sans doute à l’impression d’inassouvissement que l’on ressent en comparant un original à sa traduction. « Lost in translation » : quelque chose, immanquablement, s’est perdu en route. Alors, on remet l’ouvrage sur le métier pour s’approcher du texte parfait. Retraduire est d’abord un jeu merveilleux pour l’intelligence…
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