« La Roumanie et la Shoah. Destruction et survie des Juifs et des Roms sous le régime Antonescu. 1940-1944 », de Radu Ioanid, deuxième édition révisée et augmentée, préface de Serge Klarsfeld, CNRS Editions, « Nationalismes et guerres mondiales », 572 p., 29 €, numérique 21 €.
Publié pour la première fois en 2002, enrichi, pour l’édition qui vient de paraître, de nombreuses archives inédites, La Roumanie et la Shoah est la somme la plus complète sur les conditions spécifiques de la destruction systématique des juifs par le régime de Ion Antonescu (1882-1946) pendant la seconde guerre mondiale. Il représente un apport majeur à l’histoire globale de la Shoah, dont, en mettant au jour ces événements longtemps méconnus – ou trop partiellement connus, malgré l’apport décisif, dès l’après-guerre, de Matatias Carp dans Cartea neagra. Le Livre noir de la destruction des juifs de Roumanie (1940-1944) (1946-1948 ; Denoël, 2009) –, il contribue à établir un panorama plus précis, plus complexe, plus atroce aussi. Son auteur, l’historien roumain Radu Ioanid, qui l’a rédigé en français, a longtemps été directeur de la Division des programmes archivistiques internationaux au Musée-Mémorial de l’Holocauste, à Washington. Il est aujourd’hui ambassadeur de Roumanie en Israël.
Quelle est, avant-guerre, la situation des juifs en Roumanie ?
C’est déjà une situation assez compliquée, pour deux raisons. D’abord, longtemps l’antisémitisme n’a pas été prédominant en Roumanie. Les choses changent au XIXe siècle, où un antisémitisme économique et culturel connaît un essor extraordinaire, sous l’influence des élites. Ensuite, le traité de Versailles, en 1919, impose à la Roumanie d’accorder la citoyenneté à toutes les minorités, juifs compris. Ce qu’elle fait. Mais cela suscite en retour une recrudescence de l’antisémitisme, qui atteint un paroxysme pendant la dictature du roi Carol II [1893-1953], en particulier avec les lois d’août 1940, ouvertement inspirées des lois nazies.
Le 6 septembre 1940, le général et futur maréchal Ion Antonescu prend le pouvoir, appuyé sur la Garde de fer, qui devient parti unique. Quelle inflexion apporte-t-il à la politique de Carol II ?
Le régime de Carol II était de type fasciste, plus proche de Mussolini que d’Hitler. Antonescu, lui, se rapproche tout de suite d’Hitler. Mais les Allemands sont divisés sur la question roumaine, ce qui va contribuer à la rupture entre Antonescu et la Garde de fer, fin janvier 1941. Antonescu représentait ce que le sociologue américain Barrington Moore [1913-2005] a appelé « le fascisme honorable des fonctionnaires ». La Garde de fer était plus radicale, plus prompte à créer du désordre, en particulier économique.
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