« Poèmes de minuit. Inédits 1936-1040 », de Robert Desnos, préface de Thierry Clermont, Seghers, « Poésie », 172 p., 15 €, numérique 10 €.
Bonne nouvelle : Robert Desnos est vivant. Plus de sept décennies après être mort d’épuisement, le 8 juin 1945, dans le camp de concentration de Theresienstadt tout juste déserté par les nazis, le grand poète et résistant se trouve de nouveau en pleine lumière. Pas moins de quatre-vingt-six textes inédits viennent de surgir de l’ombre, publiés sous le titre Poèmes de minuit. Revoici soudain Desnos drôle, inventif, engagé, exalté, émerveillé. « Et bien que demain matin/ La mort soit plus proche qu’aujourd’hui/ Je serai demain matin/ Plus vivant plus vivant qu’aujourd’hui », écrit-il dans l’un de ces poèmes, daté du 27 mars 1936. Comme s’il avait lui-même pressenti cette improbable résurrection.
Ces textes, Robert Desnos les avait écrits pour l’essentiel en 1936 et 1937. A l’époque, le poète, né en 1900, passe l’essentiel de ses journées à créer des émissions et des publicités pour Radio Luxembourg et le Poste parisien. La nuit venue, il s’est fixé une règle : ne pas dormir avant d’avoir rédigé un poème. Entre minuit et 1 heure du matin, le voici donc qui, dans son appartement encombré de Saint-Germain-des-Prés, ouvre un cahier d’écolier et aligne quelques vers, une ébauche de chanson, ajoute parfois un dessin. « Avec ou sans sujet, fatigué ou non, j’observai fidèlement cette discipline », rapportera-t-il plus tard. « Un exercice oulipien avant l’heure », souligne dans sa préface Thierry Clermont, journaliste au Figaro et membre de l’Association des amis de Robert Desnos.
En 1940, Desnos relit le fruit de ces exercices nocturnes et recopie dans quatre nouveaux cahiers cent vingt-trois de ces « poèmes forcés », selon sa propre formule. Il en sélectionne dix-neuf et les intègre dans les recueils Fortunes (Gallimard, 1942) et Etat de veille (1943), parfois après les avoir largement réécrits. Grâce à un autre manuscrit, dix-huit poèmes supplémentaires resurgissent dans l’épais volume des Œuvres, publié par Gallimard en 1999. Les quatre-vingt-six autres restent totalement ignorés jusqu’à la dispersion aux enchères, à Drouot, en octobre 2020, de la bibliothèque de Geneviève et Jean-Paul Kahn, un couple de collectionneurs. Parmi bien des raretés signées Apollinaire, Aragon, Breton, Dali, Eluard ou Picabia, les quatre précieux cahiers de Desnos sont proposés à la vente. Comment étaient-ils devenus propriété des Kahn ? Nul ne le sait. Pour 13 000 euros, ils passent en tout cas aux mains d’un autre grand bibliophile, Jacques Letertre.
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