Conservateur de la collection Gilman, le plus grand ensemble au monde de photos anciennes, détenu aujourd’hui par le Metropolitan Museum of Art, à New York, Pierre Apraxine était ce qu’on appelle communément un « œil ». Attentif, aiguisé, doué pour les correspondances originales. Un aventurier aussi, dont la carrière a jonglé entre l’Europe et les Etats-Unis, le public et le privé. Cet homme aussi discret qu’élégant, curieux de tout et de tous selon ses proches, s’est éteint à New York, dans la nuit du 26 au 27 février, à l’âge de 88 ans.
Né en 1934 à Tallin, en Estonie, dans une famille d’origine russe et de lignée aristocratique, Pierre Apraxine émigre enfant en Belgique. Le jeune homme s’initie d’abord au dessin à l’Académie royale des beaux-arts de Bruxelles, avant d’étudier l’histoire de l’art. Fasciné par l’avant-garde des années 1960, il se passionne pour l’art minimaliste et conceptuel, dont il achète des œuvres pour le compte du baron Léon Lambert, avant de répondre aux sirènes de l’Amérique. Doté d’une bourse Fulbright, Pierre Apraxine s’installe en 1969 à New York, où il est recruté comme assistant conservateur au MoMA.
Après un passage express par la galerie Marlborough, une rencontre en 1976 bouleverse son destin. Magnat du papier, l’industriel américain Howard Gilman souhaite monter une collection d’art contemporain et de dessins d’architecture. Il a du goût, de l’ambition et les moyens qui vont avec. Pierre Apraxine élargit très vite son prisme à la photographie du XIXe siècle dont il apprécie l’ascétisme. Tout part d’un voyage à Paris, quand le curateur tombe sur une photographie d’Edouard Baldus, Groupe dans le parc du château de la Faloise (1857) à la galerie Texbraun. « J’ai dit à Howard : “Il est impensable que cette image ne soit pas dans un musée. Regarde, les Rembrandt, les Raphaël de la photographie sont encore à vendre, ils sont abordables” », raconte-t-il, en 1998, au Journal des arts.
Un fabuleux ensemble
Le marché est alors balbutiant, les informations fragmentaires. Les publications sur le sujet se comptent sur les doigts d’une main. Gilman et Apraxine pensent d’abord se concentrer sur une quarantaine de chefs-d’œuvre. Mordus, ils finissent par accumuler en deux décennies un fabuleux ensemble de 8 500 photos et albums. Très vite, le Metropolitan Museum se positionne pour acheter cette collection. En 1993, elle accueille l’exposition « The Waking Dream », un riche avant-goût de cet ensemble qui fait saliver tout le monde de la photographie. Mais à la mort de Howard Gilman en 1998, les passions familiales se déchaînent et les spéculateurs se pressent. Le Metropolitan devra attendre 2005 avant de pouvoir racheter l’ensemble.
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