L’AVIS DU « MONDE » – À VOIR
L’engouement croissant que rencontre la franchise Creed (elle-même spin-off de la saga Rocky Balboa, 1976-2006) ne peut plus seulement s’expliquer par l’inaltérable nostalgie d’un public pleurant sur ses vieux jouets. Elle draine de nouvelles générations pour qui le nom de Sylvester Stallone n’évoque plus grand-chose. Emettons l’hypothèse que la remise au goût du jour du film de boxe vient combler un manque que n’a cessé de creuser l’hégémonie des super-héros Marvel et autre Avatar : au cinéma post-corps, où les acteurs ne sont que des ectoplasmes s’ébattant dans une nuée d’effets spéciaux, Creed refait du corps – musclé, souffrant, héroïque – l’ultime clou du spectacle hollywoodien.
Il restait à Creed 3 à relever un défi de taille : après avoir exploité l’héritage Balboa, que reste-t-il à raconter ? On retrouve Adonis Creed (Michael B. Jordan, acteur et désormais réalisateur) au sommet de sa carrière. Père de famille comblé et champion du monde en voie de reconversion, il n’a plus besoin d’enfiler les gants et peut, enfin, profiter d’un embourgeoisement bien mérité en compagnie des siens. C’était sans compter la visite d’un ami d’enfance, Damian Anderson (Jonathan Majors), tout juste de sorti de prison après avoir purgé une peine de dix-huit ans. Les retrouvailles reconvoquent tout un passé que Creed avait méticuleusement refoulé. Le récit s’engouffre sans complexe dans ce circuit narratif cuit et recuit : Anderson n’est autre que la Némésis de Creed, son double maléfique revenu des enfers pour lui rappeler d’où il vient, instiller le poison de la culpabilité dans cette image de bonheur gentrifié qu’il a méticuleusement bâti.
Si le film s’émancipe de l’ombre écrasante de son modèle pour voler de ses propres ailes, il pose une question qu’avait, à son époque, déjà soulevée Rocky 3 (Sylvester Stallone, 1982) : qu’advient-il du corps du boxeur dès lors qu’il s’embourgeoise – et donc perd sa raison d’être ? Puis, assez intelligemment, déplace la ligne de fracture : elle ne se trouve plus entre communautés (Noirs, Latinos, Blancs) mais entre les membres d’une même minorité raciale séparés par le fatum de la classe sociale. Entre Creed, figure atone et dévitalisée, et Damian, mû par la férocité de son instinct de survie.
Des scènes de combat déréalisées
L’apparition de Damian apporte ce quelque chose de sale qui manquait cruellement à une franchise jusqu’ici marquée par son envie de bien faire et la déférence à l’égard de son modèle. On doit cette fureur à son acteur, Jonathan Majors, paquet de nerfs réellement inquiétant et qui habite pleinement son rôle d’ange de la vengeance au visage boursouflé. Sur le ring, Damian accumule les fautes intentionnelles et s’avère incontrôlable.
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