Nos choix de lectures : « Caisse 19 », « La Langue de là-bas », « Killiok », « Loin en amont du ciel »…

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LA LISTE DE LA MATINALE

Cette semaine, les écrivaines explorent leur relation aux mots : ceux mêmes qu’elle a inventés précédemment, et qu’elle resculpte sans cesse, pour Claire-Louise Bennett ; le langage de l’exil et celui de sa langue d’accueil, qu’elle a fini par faire sienne, pour Silvia Baron-Supervielle ; les méditations d’un chien hédoniste pour l’autrice jeunesse Anne Brouillard. Pierre Pelot nous conte, quant à lui, la fable noire d’une vengeance, juste après la guerre de Sécession, renouant avec le western. Côté essais, une enquête de Didier Guignard sur la dernière révolte algérienne contre la colonisation, en 1871, nuance ce que l’histoire a retenu un peu schématiquement comme une défaite des paysans.

ROMAN. « Caisse 19 », de Claire-Louise Bennett

Dans son deuxième roman, Claire-Louise-Bennett peint les miniatures de sa jeunesse, soumise à ses « imaginations suprêmement aberrantes » : son rêve de trouver un rouge à lèvres de la couleur exacte du sang de ses règles, l’arrogance de ses petits amis, sa liaison tempétueuse avec les livres – ah, la supériorité des pages de gauche sur celles de droite…

Succédant à L’Etang (L’Olivier, 2018), Caisse 19 est l’histoire des mots de l’écrivaine britannique. Dans une spirale de phrases scandées, chatoyantes, qui jouent sur la réitération et les énumérations drolatiques, se tricote une ritournelle de révolte : comment faire parler ses ombres ? Dans un dialogue avec elle-même et ses personnages, elle met à nu les accidents de la remémoration. Relisant après coup les romans qui l’ont constituée, elle découvre qu’elle les a interprétés selon le biais de sa conscience en devenir. Les livres ne sont pas une réalité stable, ni quand on les lit ni quand on les relit.

Toute en malice frondeuse, la narratrice se promène dans son roman comme dans sa vie, mettant en scène la difficile appropriation du moi, le processus de la mémoire qui se déplie. « Mais que sais-je d’elle au juste, de cette fille assise à cette table, et que j’étais ? », interroge-t-elle. Pour rendre possible un « je » qui soit le sien, elle fait des détours par le « nous », par le « elle », exposant les stratégies nécessaires pour faire advenir une figure de femme et d’écrivaine, qui ne serait pas lavée de ses extravagances. Elle joue au chat et à la souris, changeant de personne à l’intérieur même d’une phrase. Soudain, le « tu » ne renvoie plus au « je », mais à un personnage – c’est au bord de cette passerelle que se lit ce livre impressionnant. Ju. E.

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