Nathacha Appanah, l’enfance à fleur de peau

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Sélectionné pour le Prix littéraire « Le Monde »

L’appartement est envahi de cartons. Nathacha Appanah vient d’emménager en famille (avec mari et fille) dans un immeuble du quartier de Grenelle, à Paris. Rue calme. Côté cour, les fenêtres s’ouvrent, proches, sur le feuillage d’un grand ailante, un arbre originaire de Chine, que dans certaines régions on appelle aussi « monte-aux-cieux ». « En le voyant, j’ai eu un bon pressentiment. Enfant, j’étais bercée par la pensée magique. Je guettais les signes. Un papillon qui se pose sur l’épaule, un galet blanc, parfaitement poli, trouvé sur la plage, la forme d’un nuage… Chacun de ces émerveillements minuscules m’enchantait doucement, me rassurait, balisant mes journées de promesses. Il m’en est resté quelque chose. »

Son nouveau livre, La Mémoire délavée, parle d’enfance, de signes, et de ces fils invisibles qui relient les êtres au-delà des distances et des longues années. Dans ce récit intime, elle rappelle auprès d’elle le souvenir fragile de ses grands-parents et, par eux, grâce à eux, elle retisse patiemment une histoire de famille embrouillée d’ancêtres égarés. Le plus lointain d’entre eux, parti d’un village pauvre du sud de l’Inde, est arrivé sur l’île Maurice en 1872 avec sa femme et leur jeune fils. Il était un de ces « engagés » recrutés pour pallier le manque de main-d’œuvre dans les colonies après la libération des esclaves. Avant lui, plus de traces, pas de passé. ­Nathacha Appanah et son frère cadet, ­Davin, forment la sixième génération.

Elle est née au printemps 1973 à Mahébourg, une ville de la côte est de l’île, d’un père ingénieur agricole et d’une mère ­institutrice. Jusqu’à l’âge de 6 ans, les jeunes mariés restant à l’époque dans leur famille, elle grandit chez ses grands-parents. « Leur maison de Piton était pour moi la plus belle du monde. Beaucoup la trouvaient pourtant bien mal fichue. Un grand couloir et de petites chambres, des marches partout, un ­balcon sans balustrade. Dans ce ­décor biscornu, deux mondes se ­côtoyaient. Celui de mon père et de ma mère, tourné vers l’avenir, la réussite sociale, et le leur, discret et fidèle, occupé. Ils avaient travaillé toute leur vie dans les champs de canne à sucre, ne savaient ni lire ni écrire, mais ils perpétuaient la confiance et le savoir simple de tous ceux qui les avaient précédés. Ils étaient l’ancien monde, et je me trouvais bien, au chaud, dans ce ­monde-là. »

Un exercice d’intuition bienveillante et de sincérité

« Créer, c’est toujours parler de l’enfance. » La phrase de Jean Genet, extraite de son recueil d’entretiens L’Ennemi déclaré (Gallimard, 1991), pourrait servir d’exergue à l’œuvre de Nathacha Appanah. Les personnages de ses romans se débattent tous avec la leur. Ils en portent les marques. Ils l’ont à fleur de peau. Dans La Mémoire délavée, elle se sert de ses souvenirs de petite fille, de ses sensations d’alors, pour approcher au plus près celle des siens, saisir au vol, à travers le temps, leurs émotions, leurs peurs, leurs timidités. Leurs joies. C’est un exercice d’intuition bienveillante et de sincérité. L’écrivaine n’est pourtant guère adepte du ­récit subjectif. Elle ne s’est livrée que deux fois à la première personne. En 2017, dans une chronique hebdomadaire pour le journal La Croix (un choix de ces billets est rassemblé dans Une année lumière, Gallimard, 2018). Mais surtout en 2016, avec les trois courts textes qui ouvrent Petit éloge des fantômes (Gallimard), où elle s’aventure très loin dans les souvenirs personnels, jetant les bases de ce qui deviendra La Mémoire délavée.

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