Figure du neuvième art, artiste multiple notamment connu dans le domaine de la bande dessinée érotique, auteur du Déclic (Albin Michel, 1983), Milo Manara publie, le 20 septembre une adaptation du Nom de la rose (Grasset, 1982), le roman d’Umberto Eco. A presque 78 ans, il n’envisage pas d’arrêter de dessiner.
Je ne serais pas arrivé là si…
… Si, en 1967, je n’avais pas découvert Barbarella, la bande dessinée de Jean-Claude Forest. J’étais alors l’assistant du sculpteur espagnol Miguel Berrocal, qui avait son atelier dans mon village, près de Vérone. La femme de Berrocal était française et recevait régulièrement les nouveautés littéraires de Paris. Cela a été une révélation. Tout un univers s’ouvrait à moi. J’ai immédiatement compris que la bande dessinée serait ma vie.
Barbarella, cette héroïne de science-fiction qui fit scandale quelques années auparavant, parce qu’on la voyait dévêtue. L’érotisme, déjà…
Il s’agissait surtout d’une des premières bandes dessinées à s’adresser, par son propos, aux adultes. Nous étions juste avant 1968 et le monde était en train de changer de manière radicale : les relations sociales, les modes de vie… La culture a participé à ce mouvement à travers la musique, la peinture, la littérature, mais aussi la bande dessinée. Barbarella – que Roger Vadim adapta par la suite au cinéma avec Jane Fonda [en 1968] – fut l’une des premières incarnations de la libération sexuelle. Avant de lire cet album, jamais je n’avais pensé m’orienter vers la bande dessinée, dont j’ignorais à peu près tout.
Vous n’en lisiez pas, enfant ?
Non. Ma mère était institutrice et la bande dessinée était quasiment interdite chez nous. Les enseignants la considéraient comme contre-éducative sous prétexte qu’elle empêchait les enfants d’apprendre à lire. Il y avait énormément d’ouvrages à la maison, mais pas de BD. Ma mère recevait beaucoup de livres de la part des maisons d’édition, car elle était chargée de les acheter pour son école. Mon père était secrétaire communal, lui aussi était un bon lecteur.
Quelles lectures vont ont marqué ?
Les grands classiques : Le Capitaine Fracasse, la Chanson de Roland, Les Aventures d’Huckleberry Finn, Sans famille… Mais, ce qui nous fascinait le plus avec mes frères et sœurs – nous étions six enfants –, c’étaient des livres « pour adultes » rangés derrière une porte fermée à clé. Il y avait là D’Annunzio et Malaparte, ainsi que des ouvrages sur les camps de concentration qui contenaient des photos très choquantes de prisonniers réduits à l’état de squelettes. La Shoah a été un sujet tabou jusque dans les années 1960, en Italie. Mes parents étaient issus de la démocratie chrétienne et ils avaient été antifascistes, ce qui expliquait la présence de ces ouvrages chez nous. Un de mes oncles, commandant chez les partisans, avait été déporté.
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