L’histoire du cinéma n’est pas gravée dans le marbre, et il arrive parfois qu’une œuvre hier encore inconnue vienne heurter de plein fouet la conscience cinéphile. C’est un événement de cet ordre qui se produit concernant Michael Roemer, cinéaste américain non identifié, dont trois films surgis de nulle part sont aujourd’hui distribués par Les Films du Camélia : Nothing but a Man (1964), vibrant tableau de la condition noire américaine, Harry Plotnick seul contre tous (1970), décapante comédie juive new-yorkaise, et Vengeance Is Mine (1984), drame féminin aux accents gothiques. Si les deux premiers avaient déjà fait l’objet d’une exploitation française (en 1966 et en 1990), sans laisser beaucoup de traces, le troisième, tourné pour la télévision publique américaine, demeurait jusqu’alors inédit.
A les découvrir en copies restaurées, ces trois films saisissent par leur beauté inhabituelle, leur sensibilité à rebours des standards américains, leurs articulations subtiles et l’épaisseur des personnages. Joint par téléphone, leur auteur, aujourd’hui âgé de 95 ans, professeur retraité de l’université Yale, fait entendre une voix sémillante et le ton débonnaire de celui qui s’étonne encore de son parcours.
L’histoire de Michael Roemer épouse le cours tourmenté du XXe siècle. Né à Berlin en 1928, dans les derniers feux de la République de Weimar, il est exfiltré à 11 ans en Angleterre, grâce à l’opération Kindertransport, qui sauva des dizaines de milliers d’enfants juifs pour les placer en familles d’accueil. « J’ai connu une enfance difficile en Allemagne, confie le cinéaste. J’ai grandi dans une famille très perturbée par la législation nazie entravant l’accès de mes parents, des juifs, au travail. Juste avant la guerre, j’ai eu la chance d’être envoyé dans une école anglaise pour réfugiés. J’étais bon élève, un avenir s’entrouvrait, et j’ai pu poursuivre mes études en Amérique. »
Sur la voie du documentaire
En 1945, grâce à une bourse, il débarque à Boston (Massachusetts) pour intégrer la prestigieuse université Harvard, dont il sort diplômé en arts quatre ans plus tard, « avec mention ». D’abord tenté par le théâtre (« j’étais très mauvais comédien »), il se rabat alors sur le cinéma. « C’est à l’université que j’ai commencé à voir des films, explique-t-il. Et ce, pour la première fois de ma vie. Je croyais absolument à ce qu’il se passait sur l’écran. J’avais désespérément besoin de croire en quelque chose. C’est le rôle de Dieu, normalement, mais il était difficile de croire en Dieu après les camps de concentration. »
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