PARIS PREMIÈRE – À LA DEMANDE – DOCUMENTAIRE
Avant de devenir un film (La Cage aux folles, d’Edouard Molinaro, 1978, suivi de La Cage aux folles 2 et 3, signés de deux autres cinéastes), une comédie musicale à Broadway (avec le titre français conservé, livret de Harvey Fierstein, paroles et musique de Jerry Herman, 1983), puis un remake américain au cinéma (Birdcage, de Mike Nichols, 1996), La Cage aux folles fut une pièce de boulevard au succès gigantesque, à l’affiche pendant cinq saisons d’affilée au Théâtre du Palais-Royal, à Paris, de 1973 à 1978, avant une reprise au Théâtre des Variétés, de 1978 à 1980.
Son auteur, le comédien et dramaturge Jean Poiret, a l’idée de cette pièce après avoir vu L’Escalier, l’adaptation en français par Louis Velle de Staircase (1966), du Britannique Charles Dyer. Bertrand Poirot-Delpech, dans Le Monde, la présentait ainsi à sa création parisienne, en novembre 1967 : « Dans la banlieue de Londres, un dimanche de pluie, deux coiffeurs d’âge mûr se massent tour à tour le visage. Ce sont Charlie et Harry. C’en sont, comme on dit. »
Poiret a l’idée d’écrire la contrepartie enjouée de cette pièce plutôt noire en la transposant dans un cabaret où les deux protagonistes, qui forment un couple d’homosexuels vieillissants eux aussi, deviennent Albin-Zaza, le travesti-meneuse de revue sur le retour, et son compagnon, Georges, le patron du cabaret qui donne son nom à la pièce.
Poiret ne pense pas immédiatement à son vieux complice Michel Serrault et à lui-même pour incarner les deux rôles principaux. Mais cette décision, prise à la suite d’une demande du directeur du Théâtre du Palais-Royal, remet en selle leur duo – très connu à la télévision notamment, mais qui n’était plus paru publiquement depuis quelques années – pour le plus grand bonheur de salles hilares résolument combles.
Archives restaurées
Le documentaire Merci Zaza ! La folle histoire de La Cage aux folles, de Christophe Duchiron, rappelle la genèse et la destinée de ce spectacle mythique en s’appuyant sur de nombreuses images d’archives télévisées restaurées (le programme est présenté comme « une production INA pour Paris Première »). Parmi celles-ci, des extraits des soixante-cinq minutes conservées par l’Institut national de l’audiovisuel sur son site Madelen. On revoit non seulement la célèbre scène de la biscotte, mais aussi de nombreux autres passages de la pièce – ce qui fait d’autant plus regretter qu’elle n’ait pas alors été filmée intégralement.
Mais Merci Zaza ! a surtout pour qualité de remettre La Cage aux folles en perspective, dans son époque et dans la nôtre. Le comédien Michel Fau, qui se produit souvent en travesti et se considère lui-même comme un « clown tragique », voit Serrault et Poiret comme un Auguste et un clown blanc, au service d’un texte à la profondeur et à la noirceur insoupçonnées.
Le dramaturge Jean-Marie Besset se souvient de l’horreur qu’il avait ressentie devant ce que, jeune homme, accompagné de ses parents au théâtre, il avait pris pour une offensante caricature de l’homosexualité. Alain Burosse, homme de médias et militant homosexuel, avait, à la création de la pièce, détesté cette représentation du couple masculin et avait renversé une poubelle sur la tête de Jean Poiret attablé à une terrasse…
Pourtant, à la même époque, la « folle » est un terme, certes intracommunautaire mais répandu et même revendiqué : les Gazolines – une émanation très déjantée du Front homosexuel d’action révolutionnaire – le clament haut et fort entre 1972 et 1974. En 1978, l’écrivain argentin Copi publie Le Bal des folles (Christian Bourgois), etc.
Clichés et réévaluation
Alain Burosse reconnaît cependant, cinquante ans plus tard : « Il y a [dans la pièce] un côté “progressiste”, mais seulement entre guillemets, car il faut voir qu’il n’y avait rien d’autre à l’époque, on était dans une culture homosexuelle de néant. Dans ce cadre-là, je pense en effet que La Cage aux folles a joué un rôle. »
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Zaza, que les nouvelles sociabilités inclusives ne qualifieraient sûrement plus de « folle », serait-elle aujourd’hui acceptée, reconnue et même célébrée ? Le documentaire ne va pas jusque-là. On doute en revanche que d’autres clichés du texte original, tel qu’on l’entend dans la captation d’extraits, seraient aujourd’hui acceptés.
Notamment l’humour « Y a bon Banania » (un slogan supprimé en 2006 par la marque) qui voit le serviteur noir Jacob se faire affubler, entre autres, d’un « ma grande sauvage » ou d’un « il aime ses maîtres » – écueil que n’évoque pas Merci Zaza ! La folle histoire de La Cage aux folles. Les grandes folles tordues en spirale restent un classique inusable ; le reste impose indiscutablement une réévaluation.
Le texte de Poiret a de toute façon été l’objet de nombreuses variations et adaptations au cours des reprises de la pièce – notamment dans la version avec Christian Clavier et Didier Bourdon en 2009 lors des représentations données au Théâtre de la Porte-Saint-Martin, à Paris –, sans compter les improvisations laissées à la discrétion des interprètes. Michel Serrault et Jean Poiret en rajoutaient tant certains soirs que la pièce était, dit-on, souvent rallongée de quelque quarante minutes. Attention, terrain glissant… mais irrésistible.
Merci Zaza ! La folle histoire de La Cage aux folles, documentaire de Christophe Duchiron (Fr., 2023, 52 min). Disponible également à la demande sur MyCanal et 6Play.