Marine Chagnon, naissance d’une voix

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Au concours d’entrée du Conservatoire national supérieur de musique de Paris, en 2014, Marine Chagnon s’est heurtée au scepticisme du jury : pourquoi auditionner en tant que mezzo alors que sa voix paraissait sculptée comme celle d’une soprano ? A la deuxième tentative, l’année suivante, désormais candidate soprano, d’autres jurés l’ont écartée à leur tour : eux estimaient que sa tessiture flirtait davantage avec celle d’une mezzo… « La troisième fois, j’en plaisantais, raconte-t-elle. C’était devenu une blague avec mes amis : alors cette fois ? Ténor ? Baryton ? » Seule la quatrième, probablement stimulée par l’énergie du désespoir, fut la bonne, celle de l’admission.

Six ans plus tard, à 30 ans tout juste, Marine Chagnon est devenue « une mezzo-soprano, je tiens aux deux ! », en pleine éclosion, portée par un bouche-à-oreille favorable parmi les amateurs d’opéra. Consé­cration : sa saison 2023-2024 se fera intégralement à l’Opéra de Paris, dont elle intègre la troupe lyrique, nouveau pool de sept jeunes espoirs qui seront distribués d’un spectacle à l’autre de septembre à juillet 2024, tant pour leur permettre de se faire les dents que pour offrir au public des visages récurrents.

« C’est une chance exceptionnelle, se réjouit celle qui interprétera du Verdi (La Traviata) ou du Massenet (Cendrillon et Don Quichotte). Sans ça, je n’aurais jamais pu être distribuée en Zerline sur scène avant peut-être dix ans… »

La candide paysanne du Don Giovanni de Mozart, donné à Bastille à partir du 13 septembre dans une nouvelle création signée Claus Guth, est le rôle par lequel elle inaugure l’année. Longues répétitions avec sa coach, Elène Golgevit, étude de la mise en scène, lectures d’analyses et de thèses sur l’œuvre… « Je n’avais jamais autant préparé un rôle. » Une maturation patiente et méti­culeuse qui lui est nécessaire : « Je ne peux pas chanter une œuvre si je ne la comprends pas théâtralement, explique-t-elle. Pour moi, à l’opéra, on ne vient pas sur scène voir un chanteur mais un comédien qui chante. »

Déjouer ses traits de jeune première

Outre la souplesse de sa voix, c’est notamment ce soin apporté au jeu et son expressivité qui font sa réputation, alliés à une façon habile de déjouer ses traits de jeune première par des incarnations de femmes complexes, tourmentées. « Je n’aime pas que l’on résume Poppée [de Monteverdi] à sa vénalité ou que l’on montre La Périchole [d’Offenbach] comme une proie enjôlée, plaide-t-elle en citant deux rôles qu’elle a endossés ces derniers mois. De Zerline, qui se marie avant de céder aux avances de Don Giovanni, j’aimerais suggérer qu’elle n’est pas si naïve. »

Lire la présentation : Article réservé à nos abonnés Pour la saison 2023-2024 à l’Opéra de Paris, revenants, classiques et raretés au menu

Fille d’une mère chercheuse en toxicologie alimentaire et d’un père directeur général des services, Marine Chagnon a grandi à Dijon sans penser à devenir « artiste lyrique », comme elle aime se présenter. Cours de modern jazz, option théâtre lors de sa scolarité, puis intégration du chœur des enfants de l’Opéra de Dijon. « Lorsque le chef de chœur a commencé à me confier des solos, les gens ne me parlaient pas de ma voix mais de l’émotion qu’ils avaient à m’écouter. » Elle pressent alors la possibilité d’une trajectoire différente des études de médecine qu’elle envisage.

Le conservatoire auquel elle a dû postuler à quatre reprises sera en vérité le seul accroc à son CV. Naviguant parmi les institutions destinées à faire mûrir les jeunes pousses (académie de l’Opéra de Paris, académie Jaroussky, académie Orsay-Royaumont…), Marine Chagnon, entre deux échappées à l’île d’Yeu, où elle aime s’isoler, a déjà sorti un premier album (Ljus: Swedish Songs, des airs suédois accompagnés par la pianiste Joséphine Ambroselli, sorti chez Mirare en 2022) et bénéficié d’une nomination en tant que révélation aux dernières Victoires de la musique classique.

Mezzo, soprano, soprano, mezzo… Désormais, peu importe. « Quand j’avais 20 ans, j’étais persuadée comme tout le monde qu’il fallait absolument savoir qui on était. Et puis, le jour où j’ai rencontré ma coach, elle a eu une formule qui m’a décomplexée, me disant que je n’étais pas une voix à tessiture mais une voix à rôles. » Manière de préférer aux itinéraires balisés un terrain de jeu plus vaste à inventer soi-même.

Don Giovanni, de Mozart, mis en scène par Claus Guth (3 h 20 avec un entracte), à l’Opéra Bastille, place de la Bastille, Paris 12e. Du 13 septembre au 12 octobre.

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