Cela fait douze ans qu’elle enchante la radio. Après « Pas la peine de crier », « Les Nouvelles Vagues » et « Par les temps qui courent », Marie Richeux a hérité, en cette rentrée sur France Culture, du « Book Club » – que Nicolas Herbeaux produisait à 12 h 50 et désormais installé du lundi au vendredi à 15 heures.
Vous souvenez-vous d’avoir appris à lire ?
Je me souviens de mon enseignante de CP, et de la méthode de lecture : Ratus et ses amis (Editions Hatier). Je me souviens du jour où j’ai pu lire, au tableau, l’ensemble des dizaines et des unités : c’est comme si la capacité de déchiffrage du monde avait pris une lumière nouvelle avec les mathématiques. J’ai des souvenirs de lectures partagées avec mes parents, avant le coucher, et que je reproduis avec mes propres enfants. Je me souviens, après le bac, de la découverte, sur une table de la médiathèque de ma ville, à Meudon-la-Forêt, en banlieue parisienne, dans les Hauts-de-Seine, de livres de littérature dite contemporaine, et je me souviens que je ne savais pas ce que c’était. Mais que c’était parti.
Je me souviens des couvertures des Editions de minuit. De celles de Verticales. Je me souviens d’avoir beaucoup lu Duras en arrivant à France Culture – j’avais 21 ans. Si je saute un peu dans le temps, une autre lecture a été fondamentale : celle de Faulkner et de sa Lumière d’août. Je me souviens aussi de ma très grande émotion à lire La Promenade au phare, de Virginia Woolf. Plus récemment, de la rencontre avec les livres de Deborah Levy. Le choc émotionnel que me procure la lecture des ouvrages de Jakuta Alikavazovic. Dans la littérature contemporaine, elle fait partie des auteurs dont j’attends les textes, comme ceux de Lola Lafon, Sylvain Prudhomme. Et tant d’autres.
Quel rapport entretenez-vous à la lecture ?
En ce moment, j’ai un rapport de travail, qui n’abolit pas le plaisir. Si je peux, j’aime bien lire peu de temps avant l’émission pour garder une impression extrêmement fraîche. Je suis plutôt une lectrice qui oublie : j’ai du mal à me souvenir des intrigues, mais j’ai une mémoire de l’impression que m’ont laissée les livres.
Et à la radio ?
Je me souviens de ce jour, je devais avoir 19 ans, où j’ai entendu Dominique Fourcade au micro de Pascale Casanova (disparue en 2018) sur France Culture. Je me vois arrêter ce que je suis en train de faire, monter le son et écouter cet homme. Triangle magique entre la puissance de la radio, la puissance de la parole et la puissance d’une œuvre poétique, celle de Dominique Fourcade, que je n’ai jamais cessé de lire.
Après trois semaines du « Book Club », que pouvez-vous en dire ?
Je pensais que quitter la pluridisciplinarité, à laquelle j’étais attachée après douze ans d’émissions quotidiennes, allait me manquer. Et, en fait, ce que j’éprouve, c’est surtout beaucoup de joie, de jubilation.
Y a-t-il une dimension politique à faire entendre au long sur une radio de service public des auteurs exigeants, et parfois en version originale ?
Dans la mesure où nous sommes sur le service public, il n’y a pas de politique au sens partisan, mais il y a peut-être une politique dans l’espace qu’on donne à la pensée, surtout quand on voit comment, en France et ailleurs, les espaces critiques sont fragilisés aujourd’hui. Je suis attachée à la parole, au fait que, quand on parle, on dit des choses auxquelles on tient, qui ont du sens. Et j’ai l’impression que faire de la radio et le faire tout près des textes, c’est une façon, aussi, de dire que c’est important les mots qu’on choisit.
Vous êtes vous-même autrice, publiée chez Sabine Wespieser, qu’est-ce que cela change ?
Je pense que j’ai fait une place très forte et définitive dans ma vie d’abord pour l’écriture. Et la radio est aussi une forme d’écriture.
De quelle manière ?
Se poser la question de l’introduction, du générique, de la place des archives, de la musique : j’adore y réfléchir avec mon équipe. Après l’entretien en tête-à-tête (« Par les temps qui courent »), j’avais envie de faire de la radio plus collective. C’est aussi pour cela que j’ai souhaité ouvrir l’émission avec, notamment, l’éclairage d’Emmanuel Laurentin, le lundi ; et, le mercredi, faire place à la littérature jeunesse avec Mathilde Wagman, qui vient transmettre un enthousiasme fondamental pour nos enfants. Parce que c’est à ce moment-là qu’on fonde un rapport au sens, au récit, à l’imaginaire.