L’homme s’appelle Peter Weiss. Son nom, sans doute, ne dit plus grand-chose à grand monde. Il est, pourtant, entré dans l’histoire comme un inventeur du théâtre documentaire. Sur les rares photos que l’on a de lui frappe la profondeur du regard derrière les lunettes, et un air indéfinissable – comme une manière de défier le mal, sans être dupe.
Peter Weiss semblait avoir disparu du paysage, mais, hasard du calendrier ou signe des temps, deux de ses textes sont aujourd’hui montés par des metteurs en scène d’importance, qui tous deux ont choisi de les travailler avec de jeunes élèves acteurs. Au Théâtre national de Bretagne (TNB), à Rennes, Madeleine Louarn a créé L’Instruction avec la promotion 11 de l’Ecole supérieure d’art dramatique du TNB. Au Théâtre national de Strasbourg (TNS), Sylvain Creuzevault signe une adaptation pour la scène de L’Esthétique de la résistance, vaste fresque à la lisière du roman et du documentaire historique, avec le groupe 47 de l’Ecole du TNS.
Et ce sont deux soirées extrêmement fortes, qui emmènent loin dans l’épaisseur d’une histoire, celle d’un XXe siècle dont l’héritage ne cesse de se rappeler à nous, et offrent une vraie redécouverte de l’auteur allemand. Lequel est né en 1916, près de Berlin, où son père, juif hongrois converti au catholicisme, possédait une usine de textile. Peter Weiss a quitté l’Allemagne en 1934 et, après une errance de cinq ans, s’est installé en 1939 en Suède, où il a vécu jusqu’à sa mort, en 1982. Il a d’abord voulu être peintre, avant de se tourner vers la littérature, et de mener quelques expériences cinématographiques. En 1964, sa pièce Marat-Sade l’impose comme un des grands auteurs dramatiques contemporains.
En 1964 et 1965, avec d’autres écrivains comme Arthur Miller, Peter Weiss a pu assister aux séances du procès de Francfort, où les responsables du camp d’Auschwitz furent mis en accusation par la justice allemande. Vingt mois d’audience, vingt-trois accusés, vingt défenseurs, quatre procureurs de la République, trois avocats de la partie civile, un juge et trois cent cinquante témoins, pour faire revivre le camp et le processus qui mena à la « solution finale ». A partir de là, Weiss a écrit L’Instruction, et posé la pierre fondatrice d’un théâtre documentaire qui avait été jusque-là balbutiant.
Oratorio inspiré de Dante
C’est cette pièce qu’a choisie Madeleine Louarn, pour le travail au long cours qu’elle devait mener avec les élèves. Le choix, pour elle, s’est imposé avec évidence. « Le contexte des dernières élections en France, la résurgence du fascisme partout en Europe et d’une extrême droite décomplexée : je ne pensais pas voir cela de mon vivant. La fragilité de notre organisation humaine, de notre Europe issue directement de cette époque, nous saute à la gorge comme jamais. Et réveille un peu de l’effroi que nos parents et grands-parents ont traversé. Il était intéressant de voir comment des jeunes gens pouvaient traverser cette histoire. J’ai 65 ans, dans ma génération, les valeurs se sont construites sur les ruines de cet effroi. Mais ce n’est plus le cas dans la jeunesse d’aujourd’hui. »
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