Toujours adepte d’un art conceptuel à rebrousse-poil, le FRAC Lorraine propose ce qui est la toute première exposition monographique de l’Américaine Pippa Garner, aujourd’hui 81 ans, en Europe. Un projet qui en est à sa troisième mouture, puisqu’il s’est d’abord concrétisé à la Kunstverein de Munich, en Allemagne, avant d’ouvrir simultanément à la Kunsthalle de Zürich, en Suisse, et à Metz.
Avec à peu près le même corpus d’œuvres, car montrer le travail de Pippa Garner, c’est de toute façon présenter une vision fragmentaire d’une création dont il reste surtout des traces photographiques : en plus de cinq décennies, jamais l’artiste iconoclaste ne s’est préoccupée de préservation ou d’archivage.
Pippa Garner est née homme en 1942 à Evanston, dans une banlieue privilégiée de Chicago, et parle d’elle au masculin concernant les années qui ont précédé sa transition de genre. C’est d’ailleurs sous le nom de Philip Garner qu’elle a commencé sa carrière par sa passion première, l’automobile, symbole s’il en est de la société de consommation américaine. Une fascination qui va vite évoluer vers un regard critique. En 1966, il a 24 ans quand il est enrôlé, en tant qu’artiste, pour la guerre du Vietnam, à des fins de documentation. S’il échappe aux combats, il est néanmoins exposé à l’agent orange, qui entraînera chez lui une leucémie et des troubles de la vue.
Art consommé du détournement
A son retour, Garner intègre le département de design automobile d’une école d’art près de Los Angeles, en Californie, dont il sera finalement renvoyé après avoir soumis son projet de fin d’année : le modèle Kar-Mann, mi-voiture mi-homme, se terminant par un corps accroupi, une jambe levée comme un chien qui urine, et dont il reste une photo. Dès lors, Garner n’aura de cesse de remettre en cause les codes du consumérisme, toujours en restant en marge des logiques de marché.
Dans le petit préambule dédié à l’automobile qui ouvre l’exposition – elle abandonnera définitivement la voiture pour le vélo dans les années 1990 –, on découvre une photo de The Backwards Car (1975), une Chevrolet aux châssis inversés, qui donne l’impression qu’elle roule en marche arrière, conçue pour le magazine Esquire. Car les magazines, comme Vogue, Rolling Stone ou Playboy, mais aussi les talk-shows, ont toujours été des supports de choix pour diffuser des images de ses créations.
Si le genre est au centre du travail de Pippa Garner, c’est moins pour révéler une identité que pour la possibilité qu’il offre d’échapper à toute catégorisation et de se réinventer. Elle se revendique « both, neither, and, or », tout à la fois homme et/ou femme, voire ni l’un ni l’autre. Sa transition de genre, au cours des années 1980-1990, abordée comme un projet artistique, est passée par des reconfigurations de son corps, expérimentales pour l’époque, entre opérations et hormones. Et l’art conceptuel a littéralement remodelé son corps, puisque c’est la vente d’une œuvre du peintre Ed Ruscha, avec qui elle avait échangé une pièce, qui lui a permis de payer ses implants mammaires.
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