Alain Mabanckou est de ces écrivains qui, après l’isolement nécessaire à l’écriture de ses livres, savourent les rencontres avec le public. Il suffit de l’entendre narrer sa vie comme un conte, au point qu’il devient souvent difficile de distinguer – mais c’est là tout son charme – ce qui procède chez lui de l’expérience véritable de ce qui est invention pure, pour comprendre à quel point l’auteur aime partager.
Lettres à un jeune romancier sénégalais, son nouvel ouvrage, se propose ainsi comme une invitation au partage. Il s’y défend d’emblée de vouloir « dresser un catalogue qui serait une sorte de feuille de route pour quiconque aspirerait à devenir écrivain ». Pour l’écrivain congolais né en 1966 et qui, cette année, peut revendiquer trente ans d’édition, l’idée consiste plutôt en un échange fraternel avec des frères et sœurs auteurs potentiels et désireux comme il le fut d’accéder un jour à la publication.
Le vade-mecum de Mabanckou commence donc non par des exercices ou méthodes mais par des souvenirs et, en particulier, ceux précis et précieux de son enfance, marquée par l’oralité dans une communauté – celle des Babembé dans le sud du Congo –, où « la parole n’est jamais prise à la légère. Elle est au-dessus de tout ». L’écrivain évoque ainsi deux figures clés qui l’ont marqué par leur art du récit : Lisapongué, un vieillard « fabricateur de contes » de son quartier et sa propre mère, devenue plus tard un personnage essentiel de ses écrits.
Alain Mabanckou découvre ensuite à l’école cette autre forme de magie qu’exercent l’écrit et le livre, en commençant par l’alphabet de son syllabaire de français : « Je découvrais le pouvoir des vingt-six lettres de l’alphabet et (…) elles me paraissaient aussi mystérieuses que cabalistiques. » Mais bien avant d’en faire usage pour produire ses propres textes, Alain Mabanckou se passionne pour les livres. Lettres à un jeune romancier sénégalais raconte ainsi les rencontres réelles ou virtuelles que l’écrivain a pu faire à travers ses lectures de bandes dessinées ou de romans, de Zembla à Robinson Crusoé ou d’Henri Lopes à Sony Labou Tansi, en passant par… les conjugaisons du Nouveau Bescherelle.
« En Afrique, le français, nous le “ramassons” »
En relevant ainsi les points saillants de son parcours au cours de dix-neuf lettres-chapitres thématiques, l’enseignant de littérature qu’est Mabanckou prend tour à tour le relais du romancier ou de l’essayiste, l’auteur jeunesse le cède au poète, l’écrivain évoquant même son expérience de traducteur, dans un exercice qui lui « a appris l’humilité, l’effacement, le rôle de celui qui agit dans l’ombre ».
Mabanckou distille certes au fil des pages quelques « secrets » d’écriture théorisés à partir de son expérience, comme celui qui consiste à donner de l’importance aux personnages secondaires de ses romans, indispensables contre-feux du personnage principal « puisque, en général, ils le soutiennent, lui instillent de l’épaisseur, le poussent à bout ou le tirent d’affaire. C’est en réalité sur eux que repose la réussite de la fiction ».
Il discute également des questions qui agitent parfois le milieu éditorial français comme la concurrence entre fiction et autofiction ou encore le prétendu « déclin de la langue française », rappelant avec malice que, sur le continent africain, « le français, nous le “ramassons” dans la rue et nous en faisons ce que nous voulons. Nous le pétrissons, nous le mélangeons avec de la terre rouge pour obtenir du kaolin que nous mangeons avec un peu de sel. » Le message est clair : que les aspirants écrivains se détendent et n’hésitent pas à user de leur liberté.
Mais la véritable surprise de ce texte hybride se trouvera dans les allusions aux difficultés rencontrées par l’auteur congolais, dont le succès toutes ces dernières années peut faire oublier ce que sa carrière recouvre de travail, d’écueils, y compris d’échecs. Ainsi se présente-t-il en Candide, essuyant au début de sa carrière des refus d’éditeurs avant de publier son premier roman, Bleu Blanc Rouge (Présence Africaine), en auteur débutant qui pour un livre de poésie dut, explique-t-il, « sacrifier deux mois de ma bourse d’études pour enfin sortir à mes frais mon premier recueil ». Il se fustige même encore un peu plus, se dépeignant en vaniteux persuadé dès ses premiers textes de son génie : « Le plus grand choc était de constater que le monde entier ne s’était pas arrêté pour m’applaudir après cette parution. »
De l’autoédition à l’édition classique, des milieux populaires de Brazzaville au cénacle des auteurs stars des maisons parisiennes, Mabanckou raconte un parcours d’écrivain autant qu’une trajectoire de vie dédiée à sa passion du verbe et des lettres. Le reste n’est que tentatives et erreurs et, peut-être, la leçon essentielle à retenir consiste-t-elle à s’atteler à la tâche du mieux que l’on peut, comme il le fait depuis trois décennies avec régularité, car, « à un certain moment, je ressentirai le point de jonction, tout se mettra en place, et ce n’est qu’à cet instant-là que je me lancerai vers l’inconnu, n’ayant jamais planifié ce que j’ai à écrire, me laissant plutôt porter par le courant de l’onde… »
Lettres à un jeune romancier sénégalais, d’Alain Mabanckou (éditions Le Robert, coll. « Secrets d’écriture »), 176 p., 15,40 euros.