« Les Partisans. Kessel et Druon, une histoire de famille », de Dominique Bona, Gallimard, 526 p., 24 €, numérique 17 €.
Ces deux heures de cogitation, un dimanche après la sieste, sont entrées dans l’histoire. Le 30 mai 1943, Joseph Kessel, sa maîtresse, Germaine Sablon, et son neveu, Maurice Druon, se retirent dans le petit salon d’un hôtel, au sud de Londres. Les dirigeants de la France libre leur ont commandé un chant pour la Résistance. Sur une mélodie inspirée d’un vieil air russe, le fameux écrivain reporter et son neveu posent des paroles que la chanteuse Germaine Sablon prend en note : « Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ? » LeChant des partisans est né.
« Ami, entends-tu… » C’est l’un à l’autre que Kessel et Druon s’adressent en premier lieu. Amis et parents, associés mais parfois rivaux, proches et pourtant opposés sur bien des points, les deux hommes sont tout cela à la fois. Cette complexité donne son grand intérêt aux Partisans, la biographie croisée que signe Dominique Bona. Un long récit tour à tour épique, cocasse et poignant, d’une lecture agréable malgré des répétitions et quelques facilités.
De Kessel (1898-1979) et Druon (1918-2009), ce sont les points communs qui frappent à première vue. Ecrivains à succès, entrés à l’Académie française l’un après l’autre, l’auteur du Lion et celui des Grandes Familles sont tous deux des séducteurs finis, refusant d’avoir des enfants, marqués à droite, et avant tout résistants. Le livre s’ouvre sur leur départ conjoint de France, en décembre 1942, lorsqu’ils passent clandestinement la frontière avec Germaine Sablon (1899-1985), pour se réfugier en Espagne, puis au Portugal, avant de gagner Londres au terme d’une invraisemblable cavale. Pierre Laval avait offert à l’homme de lettres juif quatre passeports pour lui et ses proches. Kessel avait refusé le cadeau, afin de ne pas devoir quoi que ce soit à Vichy.
Comme le feu et l’eau
Mais, derrière ces convergences, « Jef » et son neveu paraissent comme le feu et l’eau. Kessel est un aventurier bouillonnant, il rêve de samovars et d’airs tziganes, alterne opium, sexe et alcools forts, le goût du risque chevillé au corps, et se révèle un sioniste convaincu. De vingt ans son cadet, Druon, lui, s’est construit « une armure, une carapace » : ce fils naturel d’un frère de Kessel (qui s’est suicidé) veut échapper aux démons familiaux en se montrant « solide, organisé, volontaire », écrit Dominique Bona. L’oncle adore les mauvais garçons, le neveu fréquente l’aristocratie terrienne. L’un est un écrivain baroudeur, l’autre « une usine à rois de France », avec sa saga LesRois maudits, écrite avec l’aide de toute une équipe, avant de devenir un ministre de Pompidou droit dans ses bottes réactionnaires.
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